Il est parfois difficile de faire le tri parmi les presque 600 ouvrages qui sortent à chaque rentrée littéraire, et il est surtout trop cher de tous les acheter en grand format. Alors, pour celles et ceux qui sont patient.e.s, voici quelques livres de la rentrée littéraire de l'année dernière qui sont désormais disponibles en poche !
Les Vertueux, Yasmina Khadra
Yacine Chéraga est désigné par le tout-puissant caïd de son douar algérien pour partir à la guerre en France contre les “Boches” à la place de son fils qui souffre d’une maladie du cœur. En échange, la promesse d’une ferme qui sortirait ses parents de la misère, une femme vierge et la sécurité pour toute sa famille. Lorsqu’à son retour, quatre ans après l’horreur et la mort, il rentre enfin au pays persuadé d’être accueilli en héros, rien ne se passe comme prévu : le caïd qui a valorisé son fils est prêt à tout pour faire disparaître cette supercherie.
Ainsi, à son retour en Algérie, le marché se transforme en cauchemar. Le jeune Yacine n’a aucune nouvelle de sa famille et doit fuir un caïd qui souhaite sa mort. Dans son périple, il renoue avec ses anciens compagnons de guerre, les Turcos, et se retrouve embarqué dans une rébellion indépendantiste. Mais Yacine refuse de voir son identité bafouée. C’est à travers ces pages que Yasmina Khadra questionne le destin. Tout est-il écrit ? Notre destin est-il déjà scellé ? Peut-on aller contre notre destinée ?
Dans Les Vertueux, Yasmina Khadra signe une fresque émouvante qui relate presque un siècle d’histoire de l’Algérie, et questionne les notions de pardon, de destin et d'exil intérieur pour vivre en paix.
"Les vertueux", Yasmina Khadra, Editions Pocket, 512 pages, 9,50 €
Les exportés, Sonia Devillers
En 1961, Harry et Gabriela Deleanu ainsi que leur deux filles et la mère de Gabriela quittent la Roumanie. Cette famille, c'est la famille maternelle de Sonia Devillers, auteure de ce roman, où elle revient sur l'exil de sa famille, ses conditions et surtout sur la machination à l'oeuvre derrière cet exil.
Dans un récit, très documenté et sourcé avec des textes historiques, Sonia Devillers raconte dans un premier temps la vie antérieure à l'exil de ses grands-parents. Gabriela et Harry sont deux intellectuels, elle enseigne la musique et lui est haut fonctionnaire dans l'administration communiste du pays. Mais alors comment cette famille a pu s'échapper d'un pays dont on ne sort pas ? Dans quelles conditions ? Sonia Devillers relie et met à jour un grand trafic d'être humains, pan d'histoire parfois méconnu, ses grands-parents comme tant d'autres juifs roumains ont été vendu contre : des cochons.
Sonia Devillers relate ainsi la vie de sa famille, pendant la Seconde Guerre Mondiale, où les juifs de Bucarest ont été relativement épargnés, mais dont le sort sous le régime communiste ne sera que plus néfaste. Etayé par le déclassement des archives des secrets d'Etat, l'auteure éclaire avec précision les rouges de l'exportation massive des juifs de Roumanie, par un savant montage financier afin de relancer l'économie par l'agriculture du pays.
Les exportés est une histoire de famille, un témoignagne et une oeuvre de mémoire. Avec son écriture journalistique et sa voix particulière, Sonia Devillers fait la lumière sur un fait historique méconnu du grand public.
"Les exportés", Sonia Devillers, Editions J'ai Lu, 256 pages, 7,50 €
On était des loups, Sandrine Collette
Liam, homme des bois et trappeur, a décidé de vivre à l’écart des Hommes et de la société. Un soir, lors d’un retour de chasse, il découvre sa femme tuée par un ours. Sous elle, son fils de cinq ans, Aru, a survécu. Désemparé, habitué à déléguer son rôle de père à sa compagne, il ne sait que faire de cet enfant qu’il considère désormais comme un poids. Mais cet enfant est aussi le reflet de l’âme perdue, celui qui lui rappelle sans cesse la mort de celle qu’il aimait. Que faire de lui ? Doit-il le garder auprès de lui et s’y attacher ou doit-il l’abandonner ?
Avec “On était des loups”, Sandrine Collette transporte son lecteur dans l’univers impitoyable de la nature, et l’entraîne dans une fuite sans duite aux côtés d’un père et de son fils. Avec brio, elle retranscrit les sentiments de ce père, ayant lui-même vécu une enfance marquée par la violence et le manque d’amour. Au fil des pages, et de sa fuite, grâce à un monologue exclusif de Liam, on suit l’évolution de ces sentiments.
Avec en fond de roman l’immensité de la montagne et le vibrant souffle de la nature, Sandrine Collette signe un magnifique roman sur le deuil et la parentalité.
"On était des loups", Sandrine Collette, Editions Livre de Poche, 168 pages, 7,70 €
La vie têtue, Juliette Rousseau
Quel beau texte nous proposent Juliette Rousseau et les éditions Cambourakis ! Un texte bouleversant sur le deuil et sur la vie, sur la survie quand on perd une être chère et sur la violence du manque alors qu'on en met une autre au monde.
La narratrice est retournée vivre dans la maison familiale, à la campagne, où elle élève sa fille. Elle se replonge dans ses souvenirs d'enfance, auprès de sa grande soeur disparue, celle qui a été une deuxième mère pour elle, un modèle et un refuge. Elle lui parle et lui raconte. Elle lui raconte ce que c'est pour elle que d'élever une petite fille dans un monde marqué par les violences patriarcales, dans une histoire blessée par les violences des hommes qui les ont entourées, dans un paysage meurtri par les actions des hommes, où la forêt bat en retraite et les champs ne sont plus les mêmes.
Elle se remémore les derniers moments de cette soeur blessée, à terre, et pourtant si vivante jusqu'à la fin. Elle se tourne vers l'avenir, vers sa fille et le bonheur qu'elle lui apporte, tout en regardant en arrière, en rendant femmage à cette soeur que la vie a bousculé et qui ne lui a laissé aucune chance - en même temps qu'à toutes ces femmes tombées sous la violence des hommes.
Un premier roman bouleversant, qui fera sans doute lâcher quelques larmes mais qui reste ancré en nous profondément.
"La vie têtue", Juliette Rousseau, Editions Cambourakis, 136 pages, 10 €
Stardust, Léonora Miano
Louise et sa fille Bliss doivent quitter la chambre d'hôtel qu'elles ne peuvent payer et supplier à nouveau l'assistante sociale pour une place dans un foyer de femmes. Depuis que Louise a dû quitter le père de sa fille pour tenter d'avoir une vie meilleure, elle se débrouille seule sans papiers dans un pays qui n'est pas le sien. Elle sera finalement acceptée pour quelques jours dans un foyer pour femmes de Crimée, dans le XIXe arrondissement parisien. Un foyer où elle et sa fille dorment dans un dortoir, ne quittant jamais son sac, sans aucune intimité.
Louise, c'est en fait Léonora Miano. Dans un texte écrit il y a plus de vingt ans et gardé pour elle jusqu'à présent, l'autrice raconte cette période de sa vie où elle a été SDF, où elle a douté pouvoir un jour vivre de son écriture dans ce pays qui ne semblait que souhaiter la rejeter. Elle a côtoyé la misère de la capitale, la violence à laquelle ont dû faire face ces femmes avant de se tourner vers l'Etat pour un peu d'aide à survivre. Elle raconte de sa plume si acérée l'humiliation et la honte de vivre dans ces conditions mais aussi l'espoir de voir chaque fois un sourire sur le visage de sa fille et l'envie de lui donner un autre avenir.
Un récit très court mais poignant qui pousse à s'interroger sur le traitement que la France réserve à celles et ceux que la vie n'a pas aidé et qui ne font que survivre sur son territoire.
"Stardust", Léonora Miano, Editions Pocket, 160 pages, 7,70 €
Euphorie, Elin Cullhead
Sylvia Plath a emménagé avec son mari Ted Hughes et leur fille Frieda dans un petit village anglais. Une belle maison pour laquelle le couple a eu un coup de foudre, au jardin qu'ils s'imaginent entretenir, avec une pièce pour qu'ils écrivent, ce couple de poètes de plus en plus célèbre. Sylvia est enceinte de leur deuxième enfant, dispose d'une bourse pour écrire un livre qu'elle a déjà terminé et qu'elle est impatiente de publier. Et pourtant, moins d'un an plus tard, elle sera morte, suicidée la tête dans le four après s'être séparée de son mari.
Elin Cullhead imagine la dernière année de la vie de la poétesse qui l'a menée à cet acte désespéré, rendant fictionnelles ses pensées et ses actions. On plonge dans le quotidien du couple, loin de la vie londonnienne et riche qu'iels avaient les années précédentes et pour laquelle Sylvia a quitté son Amérique. On entre dans la tête de cette femme qui souhaite plus que tout être heureuse simplement avec un mari qui fasse attention à elle et qui lui laisse l'espace d'écrire et de créer. Mais ce n'est malheureusement pas ce qui semble attendre la poétesse dans cette nouvelle vie : pétrie d'angoisse et de complexes d'infériorité par rapport à son mari le poète qui commence à faire parler de lui, elle se languit, s'épuise à s'occuper de leurs deux enfants en bas âge, se désole de ne pas réussir à écrire.
C'est bien une année de descente aux enfers pour la jeune femme, brillante autrice et poétesse dans l'ombre de ce mari qui prend trop de place, qui regarde ailleurs et participe avec ses infidélités à ce qu'elle s'enfonce dans la dépression qui la mènera à ce geste fatal. Un roman où la prose sert le récit de désespoir croissant et d'angoisse constante, qui nous prive parfois de respiration à la lecture de cette femme brillante qui prendra sa propre vie avant de connaître une célébrité si méritée.
"Euphorie", Elin Cullhead, traduit par Anna Gibson, Editions 10/18, 360 pages, 8,90 €