De retour après le fracassant et déroutant La Maison, l’auteure du prix France Culture-Télérama revient sur la scène littéraire avec un titre tout aussi provocateur sur la condition féminine, son rapport aux hommes et au désir.
Roman d’autofiction, nous retrouvons Emma à Berlin avec son compagnon, Lenny, et son fils, Isidore. Bien que mère et femme rangée, le rapport d’Emma avec les hommes et au sexe n’en est pas moins calme. Des coups d’un soir aux amants de passage, Emma mène quasiment une double vie : celle d’une femme libérée sexuellement, sans responsabilités et bonne vivante, et celle de la mère au foyer, attendant sagement que son mari rentre du travail.
Sortir des clous, être une femme libre
« Il m’aura fallu longtemps, quelques années, pour réaliser que sans enfant pour me tirer sans arrêt de ses bras, je n’aurai pas aimé Victor avec une telle frénésie. Deux ans et demi dans un bordel berlinois y ont contribué, certes, mais pas autant que l’obligation de rentrer chez moi et de faire semblant que rien ne se passait dans ma vie - rien d’autre qu’Isidore. »
Avec L’inconduite, Emma Becker s’attaque à la représentation de la femme et les injonctions qu’elle subit une fois mère. La maternité change une femme et de fait, lui fait perdre son statut de femme libre et sans attache. Elle se transforme en personne dévouée et indéniablement liée à son mari et ses enfants. Elle se retrouve déchue de son statut de femme désirable par les autres hommes.
Pour la narratrice qui voit dans le sexe un jeu et une échappatoire, endosser le rôle de mère prédéfini par la société ne lui convient pas. Certes, elle a son fils, mais cela ne l’empêche pas d’assouvir ses fantasmes sexuels avec des inconnus. En relation libre avec Lenny, Emma se donne sans retenue à ses amants. Mais dans ces jeux de plaisirs, se cache un malaise plus profond, celui de son amour envers Lenny qui s’estompe et la culpabilité d’agir comme une femme égoïste et irresponsable.
Maternité, sexe et liberté
Avec une plume flamboyante et un style sans filtre, Emma Becker nous partage son désir de rester une femme désirée des hommes et son refus de renoncer à la puissance d’être une femme avant d’être une mère.
« Pour expliquer ce que je fuis en essayant de fuir Lenny, il faudrait que j’explique comment c’est d’essayer d’écrire des choses sur soi des choses graves et intimes, prise en tenaille entre les cris du Petit et le regard du père (...), les demi-accords pour garder une bonne atmosphère, les dix minutes de levrette après avoir couché le Petit et avant de se coucher soi-même ».
Oppressée par ce rôle de mère et ce que cela impose, la narratrice trouve dans le sexe un exutoire. Sa fréquentation des hommes a forgé sa personnalité et son désir de liberté et d’indépendance. Un coup muse, un coup servante, ses amants sont nombreux et être mère ne l’empêche pas d’en fréquenter. Victor, Gaspard, Jon… Nombreux sont les hommes à avoir joué un rôle dans sa quête de liberté et l’affranchissement de ses obligations maternelles. Penser à soi avant de penser aux autres est-il si mal que cela ?
Comment ne pas se perdre dans sa condition féminine lorsque la représentation de son statut est si conditionnée et que l’on doit se plier à ses attentes ? Être une femme fatale, désirable, et libre sexuellement est-il encore possible en étant mère ? Prendre sa liberté et la vivre pleinement peut-il enfin être acceptable aux yeux de tous sans être perçue comme une personne amorale ?
Un roman à la fois cru et réfléchi, une réflexion sur la condition féminine, la liberté sexuelle et le plaisir, mais aussi sur la maternité et ses injonctions. Une pépite littéraire qui n’en démord pas et qui n’a pas sa langue dans sa poche, quitte à déranger !
"L'Inconduite", Emma Becker, Editions Abin-Michel, 368 pages, 21,90€