L’autrice du percutant Blizzard revient avec un deuxième roman en cette rentrée littéraire : un récit tout aussi bien construit, qui nous fait plonger dans les tréfonds de l’âme humaine.

Il ne se passe jamais rien à Mercy, petite ville des Etats-Unis. Et pourtant, ce printemps-là, la quiétude des habitant.es est rompue : une adolescente, Leo, a été assassinée et la quête pour savoir qui est coupable démarre. Elle nous mènera derrière les portes closes de ces familles qui semblent ne rien avoir à se reprocher mais dont la vie est pleine de faux-semblants.

A chaque saison son personnage

Les âmes féroces est un roman parfaitement polyphonique : il est divisé en quatre parties suivant les saisons de l’année et dont la narration est dévolue à un personnage différent. Le talent de Marie Vingtras se ressent dans les changements de style pour chacun des personnages, qui permettent de dépasser le simple roman policier pour plonger les lecteur.rices dans des atmosphères bien particulières. 

“Cette bonne ville de Mercy, trois mille neuf cent soixante-quatorze âmes hier, trois mille neuf cent soixante-treize aujourd’hui. Une ville calme, endormie presque, avec ses deux clubs de bingo, son association de vétérans et sa shérif qui préfère les femmes.”

C’est donc tout d’abord, au printemps, au tour de Lauren, la shérif, de prendre en charge le récit et de tenter de démêler les fils de l’enquête dans les premiers jours suivant la mort de la jeune fille. Mais Lauren est lesbienne et on se rend vite compte que cela va constituer un obstacle dans sa quête de la vérité, certain.es habitant.es et même collègues lui mettant des batons dans les roues. L’été nous présente un écrivain exilé à Mercy et professeur de littérature, entretenant des rapports perturbants avec la jeunesse. A l’automne, Emmy fait son apparition : elle a été la meilleure amie de Leo depuis leur plus tendre enfance et a des révélations familiales à faire. C’est enfin le tour du père endeuillé de prendre la parole et de rendre l’hiver encore plus sombre.

Une plongée vertigineuse dans l’âme humaine

Marie Vingtras maîtrise à merveille ses effets de suspense, mais surtout la profondeur de ses personnages. A chaque partie, le plaisir de découvrir la vie et les pensées d’un nouveau personnage est renouvelé. L’alternance entre le présent des saisons et le passé de chacun.e d’elleux renforce l’impression d’apprendre à les connaître, et décuple les émotions ressenties à chaque révélation. Ce sont bien les rapports humains qui sont le moteur de l’intrigue, plus particulièrement les relations entre les femmes et les hommes, les violences subies par les femmes et la difficulté de se comprendre. La construction stylistique du roman et l’intégration des dialogues dans le corps des paragraphes crée un rythme haletant et une atmosphère enveloppante dans laquelle on se glisse avec plaisir.

“Ils racontent des histoires qui n’intéressent pas leurs enfants mais même en se bouchant les oreilles, elles arrivent jusqu’à eux. J’ai pas demandé à entendre ce que j’ai entendu. J’aurais préféré ne jamais rien savoir mais il a fallu qu’ils ouvrent leur grande gueule et qu’ils laissent leurs mots d’adulte se répandre comme un gaz mortel.”

Les âmes féroces ressemble finalement à une satire sociale, avec des personnages qu’on imagine tout à fait évoluer dans l’Amérique d’aujourd’hui, qui semblent ne pas réussir à se comprendre et à dépasser les faux-semblants qui règnent sur leur vie en société. Marie Vingtras critique les apparences, ce que chacun.e réussit plus ou moins bien à cacher derrière les portes closes de la propriété privée et la violence qui en découle.

Entre une enquête sur le meurtre d’une jeune fille à la Twin Peaks et une atmosphère états-unienne bien particulière à la Fargo, Marie Vingtras signe un roman noir social très réussi qui nous plonge dans les tensions dans les relations humaines et dans la férocité de l’âme.

"Les âmes féroces", Marie Vingtras, Editions de l'Olivier, 272 pages, 21,50€

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Mathilde Ciulla

Rédactrice en chef Littérature