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Rentrée littéraire : "Le désastre de la maison des notables" de Amira Ghenim

24 octobre 2024, par Mathilde Jarrossay

Roman ambitieux sur la société des notables tunisiens, Amira Ghenim retrace l'itinéaire de deux familles entre 1939 et 2012. Elle décrit une société, sa politique à travers le prisme de ces deux familles d'un milieu privilégié à partir d'un drame qui va façonner toute l'existence des membres de ces familles. 

Zbeida Rassaa est mariée avec Mohsen Naifer, les deux familles évoluent dans les hautes sphères de la société à Tunis mais s'affrontent sur leur mode de vie et leurs pensées. Tandis que les Rassaa sont libéraux, tournés vers l'Occident, les Naifer sont plus conservateurs et très en lien avec la religion. 

Ce mariage arrangé par les deux familles prend un tournant lorsqu'un drame vient frapper le jeune couple en décembre 1935. Tout le roman tourne autour de cet évènement qui se dévoile peu à peu mais dont on ne sait jamais tout. 

L'histoire d'un pays

Amira Ghenim plante le décor des différentes époques qui traverse son roman, elle enchaine les points de vue de ses personnages qui chacun à leur manière vont raconter la société tunisienne et ses changements. Elle parle de la guerre, de la Révolution de 2011, de la fatwa, des différents courants politiques indépendantistes et leurs luttes. Ses luttes sont incarnées par les différents personnages du roman, autant dans la famille Naifer que dans la famille Rassaa. Si le coeur du roman est de faire la lumière sur cet évènement de décembre 1935, la forme de celui-ci où chaque personnage a littéralement sa voix au chapitre donne un éclairage sur la société et sur quel position chacun a dans celle-ci. 

"Comment Zbeida m’a-t-elle trahi ? Pourquoi, quand et où ? Je ne le saurai jamais. Et puis, m’a-t-elle vraiment trahi comme mes pensées me le faisaient croire, ou n’était-ce qu’une illusion germée dans l’esprit d’un paranoïaque obsédé par le soupçon ?"

Chaque personnage est appelé a donné sa version des faits, de la bonne Louisa au service de Zbeida en passant par les parents des mariés, et son frère et le mari bafoué. A cette histoire familiale, Amira Ghenim associe une grande figure de l'histoire tunisienne, Tahar Haddad, penseur libre et syndicaliste assassiné en 1935. Ce personnage historique fait le lien entre les Naifer et les Rassaa dans l'histoire de leur pays. Il ouvre la voie pour comprendre comment ces notables vivent à Tunis. La force du roman de Amira Ghenim est ce lien qu'elle crée entre Histoire et histoire. 

"Tu ferais mieux de te taire, fils de Naifer. Pourquoi diable, toi et tes semblables, nés avec une cuillère d’argent dans la bouche, devriez-vous ressentir le besoin d’une organisation syndicale ? Toi, comme les autres membres du prestigieux comité exécutif du parti, êtes une honte pour l’histoire des luttes de Taalibi. Vous ne croyez pas au nationalisme révolutionnaire. Vous vous rangez avec zèle et obéissance du côté du protectorat, tendant la main afin qu’il vous concède généreusement quelques miettes de réforme."

Portrait de femmes

Ce sont les femmes qui sont au coeur de ce désastre mais aussi de ces maisons. Dans la société tunisienne que décrit Amira Ghenim, elles règnent sur ces maisons par la figure des mères, Lella Bechira Rassaa et Lella Jenina Naifer. Tahar Haddad est connu et a été assasinné pour son livre sur les femmes et sur leurs conditions, où il les défend et prone une liberté plus grande pour elles, encore un moyen pour l'autrice de relier l'Histoire à ce roman. 

Chacune incarne à sa manière les femmes tunisiennes et leur rapport au monde. Avant l'accident, Zbeida jouit d'une plus grande liberté, elle accompagne son mari au théâtre, elle est éduquée, parle français et arabe car son père Si Ali Rassaa tenait à donner aussi une éducation à ses filles. Elle représente un nouvel idéal pour les femmes en Tunisie. Face à elle, sa belle-mère conservatrice qui voue une haine à la liberté de sa belle-fille et à sa mère, et tout particulièrement à leur bonne Louisa, qui a une place particulière chez les Rassaa. 

Elles ont toute un parcours, toute une identité propre et une voix à laquelle Amira Ghenim laisse toute la place. 

Le désastre de la maison des notables est un grand roman sur la société tunisienne et ses femmes, un roman choral haletant qu'on a du mal à lâcher. 

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"Le désastre de la maison des notables", Amira Ghenim, traduit par Souad Labbize, Editions Philippe Rey, 496 p., 25€




auteur
Passionnée de littérature depuis toujours, après des études d’édition, c’est finalement le spectacle vivant qui emporte Mathilde mais elle a toujours une bibliothèque conséquente. Elle écrit sur Untitled depuis 2017 dans la rubrique livre, autant de littérature contemporaine, française et étrangère mais aussi des sélections de livres jeunesse.


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