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"L'hospitalité au démon", un livre de Constantin Alexandrakis

8 mars 2025, par Mathilde Jarrossay

Constantin Alexandrakis enquête sur ce qu'il nomme "Le Grand Continent des Violences Sexuelles" dans ce récit, à la plume acerbe, sans excès mais toujours précise. C'est une histoire d'homme qui se questionne à partir de son statut d'homme dans une société où il a la place dominante. 

Dans un Danemark imaginaire, nommé parfois Le Royaume, le narrateur vient d'avoir une petite fille, cette naissance bouleverse son quotidien mais surtout fait remonter en lui ses propres traumatismes. Se pose alors à lui une question qui devient existentielle au sens propre : comment élever cette enfant avec tous ses/ces démons ? Le narrateur entreprend alors cette cartographie des violences sexuelles, mettant en regard sa propre enfance et ses sévices mais aussi les grandes figures de la littérature, du cinéma, de la politique qui ont un lien avec ces violences. 

Une histoire universelle

Alors qu'il devient père, le narrateur s'interroge sur comment être un bon père, aimant, mais sans devenir un prédateur sexuel pour son enfant, qu'il nomme la Principale ici. Ses interrogations courent tout au long du roman, dans un Danemark fictif, qu'il romance, il joue sur la forme des mots et sur les lieux pour que ce roman soit un roman et non pas un essai. Il y a dans ce livre un travail sur la forme remarquable qui ne cherche pas à noyer le sujet principal - que sont les violences sexistes et sexuelles - mais qui conforte le mal-être. 

Au cours du roman et son enquête, pour réaliser sa cartographie, il fait appel aux grandes figures qui peuplent notre société de Lolita de Nabokov en passant par le mouvement MeToo ou bien la voyage de Gauguin en Polynésie. Il décortique à sa façon Maztneff, Giulia Foïs ou encore Vanessa Springora, il revient aussi sur le témoignage de Flavie Flament. Autant d'exemples qui pourtant ne servent pas de leçon ni d'exemple. Ce que cherche à faire l'auteur en ravivant ces actes, c'est de montrer la violence du monde dans lequel vivent et grandissent les femmes. 

"On se contrefout de la littérature. Il va falloir dire la violence, avec clarté et dignité. C'est le but. Un travail sur soi et sur les mots, pour essayer d'expliquer aux autres à quel point la vie peut être bizarre et dégueulasse. Parce que personne ne veut le savoir"

Une histoire personnelle

Aux côtés de cette tentative de faire exemple, ce qui remonte à la surface pour le narrateur c'est aussi sa propre histoire, ces traumatismes et comment il tente de processer ce qui lui est lui-même arrivé. Comme une prise de conscience à la naissance de sa fille, il redécouvre sa propre enfance et ses souvenirs. Le narrateur revient sur ce voyage en bateau avec Bernard, un étrange beau-père qui voulait partager son lit. Il décrypte ce qu'il savait enfoui dans sa mémoire mais dont il n'a jamais cherché à guérir. 

"Qu’est-ce qui merde chez moi ? Il a voulu cette gamine alors pourquoi cette nouvelle coexistence sent-elle la mort ? Pourquoi est-ce que face au retour de l’enfance dans ma vie, j’ai le sentiment d’être coincé, la tronche sur le sol d’une forêt, et de pourrir du visage comme un foutu fromage sauvage? De quoi donc, exactement, suis-je en train de faire le deuil?"

Le démon c'est celui du viol, son hospitalité c'est parce qu'il s'insinue partout et que même les personnes qui doivent nous en protéger échouent parfois. Pour ne pas reproduire ce qu'il a vécu avec sa propre enfant, le narrateur fait donc le point sur ce que lui a traversé.

Dans ce récit, Constantin Alexandrakis joue aussi avec la forme, il insère des caractères proches du danois, c'est aussi une manière de conjurer le sort pour lui notamment quand il parle de la "Dark Tentative du Bon Père de Famille". Cette dark tentative étant un puit d'exemple des excuses que trouvent les pères pour justifier soit la violence soit la charge mentale qu'ils délèguent à leurs épouses.

"Plus de doute pour la Dark Tentative, il aura été tout aussi traumatisant, si ce n'est plus, de se plonger dans le statut de victime que de vivre la pédophilie en bateau."

Un grand roman, honnête, cru mais nécessaire. 

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L'Hospitalité au démon, Constantin Alexandrakis, Collection Verticales, Gallimard, 240 pages, 20€




auteur
Passionnée de littérature depuis toujours, après des études d’édition, c’est finalement le spectacle vivant qui emporte Mathilde mais elle a toujours une bibliothèque conséquente. Elle écrit sur Untitled depuis 2017 dans la rubrique livre, autant de littérature contemporaine, française et étrangère mais aussi des sélections de livres jeunesse.


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