Avec “Au soir d’Alexandrie”, l’écrivain Alaa El Aswany signe une œuvre pleine de nostalgie et évoque la chute d’une époque révolue, celle d’une Egypte cosmopolite et tournée vers l’extérieur.
Alexandrie, la nuit
Au début des années 60, une bande d’amis aime à se retrouver régulièrement dans l’arrière-salle d’un restaurant après sa fermeture. Parmi eux, on retrouve Anas, le peintre, Carlo, le maître d'hôtel, Tony, l’industriel, Abbas, l’avocat et Chantal, la libraire. Malgré leurs origines diverses et leurs opinions qui divergent sur l’évolution de l’Egypte depuis le coup d’Etat en 1952, tous vivent comme des Egyptiens et partagent un profond attachement à Alexandrie. Politiquement, ils n’ont pas tous le même avis sur la politique du Rais. Certains le considèrent comme un despote éclairé, tandis que pour d’autres il n’est qu’un imposteur. “Toutes les réalisations d’un dictateur ressemblent aux châteaux que les enfants construisent avec du sable. Il suffit d’une vague pour les détruire”.
Au fil des pages, l’auteur déploie toute la richesse de son talent et prend le temps d’explorer avec minutie les subtilités de ses personnages, tout en scrutant les bouleversements politiques auxquels ils sont confrontés. Il invite le lecteur à une immersion profonde dans la complexité des destinées humaines, prise dans le tourbillon du passé egyptien. “La religion vous fait accepter l’oppression et attendre la justice dans l’autre vie. La religion vous entraîne à obéir. Vous obéissez à Dieu puis vous obéissez aux hommes de religion, ensuite vous obéissez à votre mari et il est donc facile qu’ensuite vous obéissiez au dictateur. Le mariage, comme la religion, conduit à la soumission”.
Grâce à son écriture épurée et soigneuse, il dépeint avec admiration l'atmosphère unique d’Alexandrie, ville cosmopolite où se croisent histoire et culture. Ici, avec ses ruelles, ses cafés, ses vestiges, ses plages, ses arrières-boutiques, Alexandrie est un personnage à part entière, qui influence la vie des protagonistes.
Règlement de comptes
Dans la continuité de ses précédents romans, Alaa El Aswany règle subtilement ses comptes avec la figure de Gamal Abdel Nasser. A la tête de l’Egypte à partir des années 50, il s’est imposé comme un sauveur auprès du peuple égyptien. Sous la plume de l’écrivain, il apparaît comme un leader charismatique et audacieux, mais profondément autoritaire. Son idéologie, qui a séduit bien des Égyptiens, a laissé derrière lui les ravages d’une dictature désastreuse. “Dans un régime dictatorial vous n’avez aucune valeur. Vous n’êtes rien… Vous n’avez pas de droits, pas de dignité. Le dictateur peut faire de vous ce qu’il veut quand il veut et vous n’avez pas le droit de vous y opposer”.
A travers une série d’évènements, il décrit une société qui se replie sur elle-même, transformant la diversité en source de malaise. Ses personnages, tous issus de milieux différents, deviennent alors les boucs émissaires d’une nation en proie à la paranoïa du régime et se voient accusés de tous les maux. Sous Nasser, Alexandrie se vide de sa richesse culturelle, et ceux qui avaient contribué à son éclat se sentent peu à peu exilés dans leur propre ville.
Avec finesse, et profondément enraciné à ses personnages, Alaa El Aswany entremêle les destins individuels à l’Histoire et signe un roman nostalgique qui dépeint la dictature de Nasser et les conséquences de ses actes sur l’Egypte et les Alexandrites.