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Rentrée littéraire : "Houris" de Kamel Daoud

11 octobre 2024, par Marie Heckenbenner

L’écrivain et journaliste Kamel Daoud s’attaque de front avec “Houris” à la douloureuse guerre civile des années 1990, qui a profondément marqué l’Algérie. C’est par la voix poignante d’une jeune survivante qu’il conte le destin tragique des 200 000 victimes et rompt avec force un tabou.

Récit sous fond de guerre civile

Elle, c’est Faj, “Aube” en Français. Née une première fois, elle connaîtra une seconde naissance à seulement cinq ans, lorsqu’elle survit à un massacre. Cette nuit de décembre 1999, les islamistes ont égorgé mille personnes dans son village, dont son père, sa mère et sa sœur. Une guerre civile, qui opposa les militaires et les islamistes, et qui laissera à tout jamais en elle une profonde empreinte : privée de cordes vocales car tranchées, elle respire à l’aide d’une canule et une longue cicatrice marque son cou.

Mais voilà, depuis peu “Aube” est enceinte de Houri, c’est à elle qu’elle adresse ses pensées, et à elle qu’elle raconte l’enfer qu’elle a vécu, l’enfer qu’a été cette guerre civile pour elle et pour des milliers d’Algériens. “Ma petite Houri, que viendrais-tu faire avec une mère comme moi, dans un pays qui ne veut pas de nous, les femmes, ou seulement la nuit ? Je te raconterai tout ce que je peux mais, à un moment, il faudra bien s’arrêter. Je suis un livre dont la fin est la tienne”.

Un pays où il n’est pas bon de naître fille

Elle, qui n’a jamais échappé à la violence, subit encore celle que les femmes algériennes endurent quotidiennement dans un pays où lorsqu’elles ne sont pas mariées, elles sont qualifiées “d’errantes”. Déterminée à vivre, la jeune “Aube” se révolte à sa façon, tient un salon de coiffure en face d’une mosquée, et n'hésite pas à défier les barbus qui la désapprouvent. Mais célibaire, enceinte, habituée à vivre dans la peur, un dilemme s’impose : peut-elle donner la vie à une fille dans un pays où les femmes sont privées de liberté, oppressées, recluses, et où leurs vies ne sont faites que d’innombrables interdictions ? “Une femme dans ce pays où tu insistes pour venir respirer, vivre et compter les jours n’a pas le droit de prier à voix haute. Elle ne peut pas faire entendre ses sanglots dans le deuil, ni ses talons sur la chaussée, elle ne peut ni chanter ni prêcher dans une mosquée. Parce que notre voix, ma Lune ancienne, est composée du cri étouffé de la jouissance et de celui vite oublié de l’accouchement. Deux moments où les hommes sont nus en nous ou au-dessous de nous. Notre belle voix s'élève toujours dans la honte des hommes”.

Partout où elle va, elle se sent menacée, jugée, critiquée. Et à jamais, son “sourire,” cette cicatrice qui est la trace d’un égorgement manqué, révèle les atrocités et ravive les souvenirs bien décidés à s’enfouir, d’une des périodes les plus noires de l’Algérie. 

Par le biais d’une écriture maîtrisée, mais sans détours, Kamel Daoud brosse le portrait d’une société algérienne où la condition des femmes reste encore profondément influencée par la religion, entraînant des répercussions tragiques sur leur liberté et leur corps.

Le silence des bourreaux

En quête de réponse, et avant de dire adieu à sa petite fille, “Aube” décide de se rendre dans son village natal, “l’Endroit Mort” comme elle l'appelle. Un pèlerinage qui l'amènera à converser avec les morts, mais aussi avec des voix survivantes qui raconteront à leur tour leurs souvenirs de cette terrible guerre.

D’une sensibilité rare, la plume de Kamel Daoud met le jour sur un pan volontairement oublié de l’histoire algérienne : la décennie noire (1992-2002). Une période sanglante qui a fait plus de 200 000 morts et un million de déplacés, mais que la loi aujourd’hui interdit encore d’évoquer. “Il est interdit d’enseigner, d’évoquer, de dessiner, de filmer et de parler de la guerre des années 1990. Rien de rien (...). Tu sais que la loi prévoit trois à cinq quand de prison pour quiconque ouvre la bouche sur cette période?”. Portée par la voix d’“Aube”, le récit raconte notamment la nuit tragique qui a anéanti sa famille, mais rend ainsi un hommage vibrant aux victimes oubliées dans une société où la mémoire et la justice semblent étouffées.

Un roman puissant qui nous plonge dans une réalité bouleversante mais qui offre tout de même une lueur d’espoir pour les femmes qui luttent pour leur émancipation.

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"Houris", Kamel Daoud, Editions Gallimard, 416 pages, 23 €




auteur
Amoureuse des livres et dénicheuse de bons restos🍷 Journaliste et fondatrice d'Untitled Magazine. Pour la joindre : m.heckenbenner@untitledmag.fr


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