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"Les Derniers Américains", un livre de Brandon Taylor

19 janvier 2024, par Mathilde Jarrossay

Après Real Life, Brandon Taylor revient avec un nouveau roman, dont l'intrigue se situe à nouveau dans le milieu universitaire, à Iowa City. Le monde de l'art, des critiques, des amours contrariées est au coeur de ce nouveau roman, empreint d'ambitions, souvent déchues.

Fyodor, Fatima, Seamus, Noah sont les personnsages principaux de ce roman, ils sont danseur·euse·s, auteur·ice·s, pianistes, poétes·sse·s. Chacun à leur manière, ils tentent de se trouver une place dans ce monde de l'art et du spectacle parfois retors et surtout impitoyable. 

C'est un roman sur l'art mais surtout sur l'amour et sur les liens qui unissent cette galaxie de personnages entre eux. C'est aussi un roman économique sur les difficultés financières qui traversent la vie de ces jeunes étudiants, un roman profondément politique car Brandon Taylor choisit des personnages issus des minorités et donc invisibilisés dans le monde de l'art mais aussi dans la société américaines. 

Un renouveau du roman choral

La force de la narration chez Brandon Taylor est celle des dialogues et de la finesse qu'il a de tisser l'intrigue dans leurs communications entre eux. Même si, comme il le montre, ces discussions ne sont pas toujours faciles et si parfois ils ne s'entendent pas. Par ce jeu de dialogue, par ces intrications entre les personnages qui se déploient tout au fil du roman, Brandon Taylor s'inscrit dans la tradition du roman choral, où chaque personnage se connaît plus ou moins, chacun prend la parole à tour de rôle, ce qui permet au lecteur de tendre devant ses yeux, un toile biographique et des liens qui unissent Fyodor, Noah, Fatima et Seamus. 

Ces relations, elles sont complexes mais surtout elles ont à voir avec le corps, chez Brandon Taylor. Parce que l'auteur s'empare du corps comme objet politique : ils sont racisés, ils sont homosexuels, ils sont issus de milieux défavorisés ou pas, ils sont danseurs mais aussi ouvriers. Brandon Taylor décrit dans son roman ce que le déterminisme social fait au corps et comment le corps est profondément politique. Il interroge ce corps dans toutes ses dimensions - sexuels, porteurs d'identités, objets de revendication. 

"Ils étaient tous en train de prendre des poses, tout le temps. Tout ce qu’ils faisaient était une pose, défensive ou offensive, destinée à démontrer quelque chose au monde extérieur, à laisser entendre qu’ils étaient valables, ou bons, ou corrects, ou qu’ils n’étaient pas dupes, qu’ils n’étaient rien et que tout ce qu’ils avaient, c’étaient ces grossières chorégraphies du moi."

C'est un roman sur la parole et sur le corps, plus qu'un roman de personnages. Narrateur qui ne prend jamais parti, qui décortique (presque) chaque faits et gestes, il fait ainsi un état des lieux de la jeunesse américaine, il inventorie les catégories sociales, les ambitions de ces différentes catégories et quels outils ils utilisent chacun à leur façon pour y parvenir, le corps et l'esprit parfois abîmés.

"Les drogues, au départ, faisaient partie de l'ensemble. Une manière d'affirmer leur domination sur leur corps, leurs parents, l'ordre paternaliste de leurs enseignants et les exigeances de la danse. Leur manière d'être indépendants, d'être vivants dans leur chair, jusqu'au moment où ils devaient se lever, à la première lueur grise de l'aube, enfiler des collants et commencer leurs étirements avant le cours du matin ."

Une génération désenchantée

Ce sont les derniers américains car cette génération de jeunes étudiant·e·s portent en eux tous les stygmates de la société en même temps que l'espoir d'un monde meilleur à venir. Dans cette cité universitaire, Brandon Taylor crée un microcosme sociétal, modèle appliquable un peu partout, c'est en somme le monde tel qu'il est à échelle miniature. Il y décortique chaque aspiration, chaque ambition, chaque profession (car les personnages secondaires sont aussi ouvriers et pas dans le monde de l'art ni universitaire). Il montre les limites et les portes d'entrée et de sortie par la voix de ces personnages.

"C’était comme vivre dans une exposition ou une maison de poupée. Il était tellement facile d’imaginer les mains d’un Dieu gigantesque, indifférent, ouvrant la maison d’une pichenette pour les observer tandis qu’ils vaquaient à leurs occupations, sur leurs circuits, tels de petits automates dans une exposition intitulée Les Derniers Américains. Un dieu avec une tête de Gorgone et un regard réprobateur."

Il y a ces dialogues mais il y aussi les non-dits. L'écriture sensible de l'auteur nous fait comprendre des choses par des descriptions longues et lentes des actes perpétués par cette galerie de personnages. Si les relations entre les personnages sont toujours complexes, les histoires amoureuses, amicales ou même professionnelles, c'est parce que s'exercent aussi sur eux des forces exétérieures : économique, psychologique, sociétale. C'est tout ça que Brandon Taylor met en tension dans son roman. 

Ce n'est pas une belle histoire que nous racontent ces jeunes gens, ce n'est pas une fable sur les étudiant·e·s du monde culturel non plus, c'est une description minitieuse de leur vie, de leurs relations, de leurs origines. C'est un état des lieux en somme, un roman sur l'identité, sur l'argent, sur le pouvoir, l'art et aussi le sexe. 

"Noli, dix-neuf ans, enfant prodige. La déception de ses parents. Choisir la poésie à la place de, quoi, la fac de médecine, la découverte du traitement contre la cancer ?"

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"Les Derniers Américains", Brandon Taylor, traduit par Héloïse Esquié, Editions La Croisée, 304 p., 22€

Découvrez d'autres livres de l'auteur :

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auteur
Passionnée de littérature depuis toujours, après des études d’édition, c’est finalement le spectacle vivant qui emporte Mathilde mais elle a toujours une bibliothèque conséquente. Elle écrit sur Untitled depuis 2017 dans la rubrique livre, autant de littérature contemporaine, française et étrangère mais aussi des sélections de livres jeunesse.


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