Alors que l'été touche à sa fin, Wallace, doctorant en biologie retrouve son université et ses ami.es. Mais ce jeune homme noir et homosexuel peine à trouver sa place, dans son travail comme dans ses relations personnelles. Dans ce premier roman de Brandon Taylor, on se laisse porter par l'attention aux détails et la quête identitaire du protagoniste.
Wallace rejoint ses ami.es en terrasse sur le campus de l'université après plusieurs mois d'été loin les un.es des autres. Il se sent déplacé, à côté du groupe et de leurs discussions. Il aimerait partir et se retrouver seul mais sait qu'à l'instant où il s'en ira, il ne souhaitera rien d'autre que d'être avec elleux. Et soudain, sans aucune préméditation, il le leur annonce : il a envie de quitter la fac et sa thèse - et il en est, en réalité, le premier surpris ! "Mais à travers cette sensation perçait un autre élément, tel un os dur, déterminé : ce n'était pas tellement qu'il avait envie de quitter la fac, c'était qu'il avait envie de quitter sa vie. La vérité de ce sentiment se rangeait sous sa peau comme une nouvelle identité inconfortable, et il ne put s'en défaire une fois qu'il l'eut reconnue. C'était la même attente grise, la peur de n'être pas en mesure de revenir en arrière."
Tandis que les déclarations de Wallace ont créé un séisme dans le groupe et qu'il s'éloigne aux toilettes pour reprendre ses esprits, Miller, l'un de ses amis, se rapproche de lui. Le décor de Real life est planté : il s'agit de la vie réelle, celle dans laquelle les relations personnelles sont complexes, entachées de toutes sortes d'interrogations, une vie dans laquelle Wallace est victime de racisme jusque sur les paillasses de son labo de thèse.
Roman de campus et roman d'apprentissage
Wallace divise désormais ses journées entre ses expériences pour sa thèse et sa relation naissante avec Miller. Au laboratoire, il se sent seul, écarté des autres étudiant.es, sentiment magnifiquement retranscrit par Brandon Taylor à travers l'utilisation de nombreux mots scientifiques pour décrire son travail, inaccessibles à toute personne extérieure. Wallace nous décrit également le racisme dont il est victime dans son labo, le regard différent porté sur lui par ses collègues, renforcé par son statut de transfuge de classe, qu'il devrait compenser par de plus intensifs efforts. Il est incompris par celleux auxquel.les il s'en ouvre, rendant sa solitude plus douloureuse.
"Le plus injuste, se dit Wallace, c'est que quand vous expliquez à des Blancs qu'une réflexion est raciste, ils l'examinent dans tous les sens pour tenter de décider si vous dites vrai. Comme si l'analyse grammaticale pouvait leur apprendre si une phrase est raciste ou pas ; et ils se fient toujours à leur propre jugement. C'est injuste parce que les Blancs ont un intérêt direct à sous-estimer le racisme, sa quantité, son intensité, sa forme et ses effets. Ils sont les renards dans le poulailler."
Quand il n'est pas au laboratoire, Wallace passe du temps avec Miller. Leur relation le désarçonne, il a du mal à comprendre leur changement de statut et à faire face à la violence refoulée chez Miller, qui découvre ses désirs homosexuels. Violence qui rappelle à Wallace un passé douloureuse qu'il a cherché à fuir en venant dans cette université du Midwest et en s'éloignant de sa famille. "[...] Dès l'instant où il est arrivé ici, il a décidé de se défaire de son ancienne vie comme d'une peau. C'est le plus formidable, quand on vit dans un endroit où on n'a pas d'attache. Il n'y a rien pour révéler ce que vous étiez avant votre venue, et les gens ne savent de vous que ce que vous leur révélez. Il était possible de devenir une autre version de lui-même dans le Midwest, une version sans famille et sans passé, inventée entièrement à sa convenance."
Brandon Taylor décrypte avec sensibilité la relation de ces deux hommes imparfaits qui tentent de cohabiter comme ils le peuvent, par accès de maladresse, de phases d'ouverture auxquelles succèdent des rejets. Wallace, en point de vue unique du roman, pose un regard détaillé et critique sur les relations de ses ami.es autour de lui, sur l'environnement dans lequel il évolue. Le sentiment prévalent de ce roman est une gêne palpable, un malaise persistant qui correspond à l'étrangeté ressentie par Wallace à chaque endroit où il pose le pied. S'il ne sait pas quelle place il occupe dans la société, il semble persuadé que celle que les autres acceptent de lui donner ne lui convient pas.
Premier roman captivant de Brandon Taylor, Real life est une fresque de la vie dans une université américaine, le récit initiatique d'un homme noir et homosexuel qui se débat dans la vie réelle.
"Real life", Brandon Taylor (traduit par Héloïse Esquié), Editions La Croisée, 304 pages, 21,90€