Après Scènes de violences conjugales (2016), Gérard Watkins se penche sur la vieille affaire qu’est celle de l’hystérie, insaisissable maux aux multiples symptômes. Entre réflexions sociales, explorations du passé et séances de travail public, Ysteria nous propose d’explorer ce «moyen suprême d’expression» comme le définissaient Breton et Aragon. Examen à suivre à la Tempête jusqu’au 14 avril.
Fruit d’un travail de recherches et d’expérimentations de plusieurs années entre l’auteur/metteur en scène, les acteurs mais également des professionnels du monde scientifique, Ysteria vient questionner cette maladie aux contours floues grandement attribuée aux femmes.
La Salpêtrière au théâtre
L’affiche de la pièce de théâtre, toute de rose vêtue, nous présente le tronc inférieur d’un corps habillé d’une jupe sous laquelle des silhouettes scrutent. D’emblée, Ysteria joue sur l’image véhiculée à travers les siècles et réaffirmée par les «leçons du Mardi» de Charcot à la Salpêtrière et les théories développées par la suite par Freud et la psychanalyse. Si en effet une maladie véhicule le sexisme à travers les âges, c’est bien celle de l’hystérie. Pour autant aujourd’hui à la Tempête, la parité est respectée. Au sein de la pièce à vivre d’un centre de soins, trois médecins nous présente le cas de deux patients atteints de conversion hystérique. Un jeune homme (Malo Martin), instrumentalisé par son frère et à présent rejeté par sa mère, souffre de crises spasmodiques hypnoïdes et d’une paralysie de son bras gauche l’empêchant d’effectuer son travail de pizzaiolo chez Pizza del Arte. De l’autre, une jeune femme adoptée (Yitu Tchang) à la recherche d’attaches affectives dont la main gauche est, elle aussi, empêchée, en plus d’être atteinte ponctuellement de cécité. Sur ces deux cobayes-patients, trois approches de la médecine vont s’escrimer. L’une à fort penchant Freudien (David Gouhier), une autre plus Jungienne portant son attention sur les rêves (Julie Denisse) et une autre plus contemporaine réutilisant l’hypnose (Clémentine Ménard).
crédits images : Pierre Planchenault
De la Grèce antique à la société néo-libérale
S’il est toujours aussi peu aisé de savoir quel traitement est le plus à même de combattre ces réminiscences dont souffre la personne en proie à des conversions hystériques, peut-être qu’un passage par l’Histoire pourrait nous permettre d’y voir plus clair, ou tout du moins d’en connaître un peu plus sur cette mystérieuse affection. C’est ainsi qu’à trois reprises, les séances de travail au centre sont interrompues par des épisodes passés. Avec une impressionnante fluidité tant dans la lumière, que sur les décors et les costumes, les cinq actrices et acteurs nous transportent sur l’île de Kos en 365 av JC, en 1639 dans une forêt suédoise, puis quelques années plus tard en 1660 à Londres. Pour autant, aussi épatant que soit la mise en place des ces évocations, il n’est pas aussi aisé pour les spectateurs de s’y repérer et de les inscrire dans les tentatives actuelles de cure. À l’inverse, les maux de ces deux patients semblent loin d’être exempts de liens avec notre société contemporaine. Entre les injonctions à répondre aux normes sociales du couple aussi bien qu’à celles carriéristes, difficile de s’étonner lorsque la jeune femme pense que le remède miracle à ses maux sera son mariage (arrangé ?) et que le jeune homme est obnubilé par le fait de devenir responsable d’un Pizza del Arte comme la direction le fait miroiter à tout ses nouveaux embauchés.
Après avoir interrogé les temps passés et présents, l’échange final des médecins autour d’un jeu de fléchettes incertaines, nous rappelle bien que malgré entre autre, les évolutions des neurosciences, la définition même de cette névrose reste fuyante. Ysteria donne ainsi à réfléchir sur notre société, ses normes et sur l’écoute de l’autre. Accompagné par ses cinq épatants comédiens, le spectateur est «appelé à visiter ici et là les frontières lointaines de l’humaine expérience» comme le résume le médecin et neurologue Oliver Sacks.
crédits images : Pierre Planchenault
Ysteria Texte et mise en scène Gérard Watkins Avec Julie Denisse, David Gouhier, Malo Martin, Clémentine Menard, Yitu Tchang
Au Théâtre de la Tempête jusqu’au 14 avril 2019