À travers quatre différents épisodes de résistances liés au nazisme et aux luttes anticoloniales, Laboratoire Poison questionne la part de mythes des discours univoques et sème le trouble dans la mise en scène de l’Histoire. En tournée.
D’emblée l’impression d’une création en mouvement règne : à l’orée de la salle, un « Lexique – Repères chronologiques – Bibliographie » est proposé à l’assistance ; sur le plateau mis à nu, ne restent que des chariots et un échafaudage ; au milieu des comédien.ne.s, la metteuse en scène tient un ensemble de feuillets. Pour communs que peuvent être ces éléments dans un théâtre qui cherche à casser le quatrième mur, ils offrent des possibilités particulièrement intéressantes ici.
Comment représenter les zones floues de la trahison, ses acteur.ice.s, ses motivations, sans tomber dans les travers d’une vérité historique unanime et excluante ? Autrement dit, comment demeurer dans cet espace incertain et relatif sans être faux, que peut faire émerger le théâtre ? Rosenstein prend le parti de la pédagogie, dire ce que l’on veut faire dire, l’exprimer, le répéter, s’arrêter, recommencer. D’un côté donc une voix qui commente, qui contextualise, qui corrige. De l’autre des recréations illustratives sans cesse affinées et affirmées pour ce qu’elles sont, des interprétations. Dans cet espace trouble où la vérité n’est plus si distinguable, émerge un astucieux concept : le canard-lapin. Inspiré par ce dessin ambigu et réversible qui mêle habilement la tête de ces deux animaux, sans qu’elles ne puissent se voir simultanément, cette figure devient la troisième dimension d’une scène rejouée de telle façon qu’elle n’est ni tout à fait semblable à la première, ni tout à fait à la deuxième. Reste alors au public de se faire sa propre appréciation.
Ainsi, même si la pièce est rythmée par quatre moments de l’Histoire lors desquels la trahison est venue déstabiliser la lutte engagée (dénonciations et accommodement avec la Gestapo au sein du Parti Communiste Belge, ingérences des gouvernements belges et français dans les luttes d’indépendance du Congo et de l’Algérie, invisibilisation des militantes et assassinats fratricides lors des luttes pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert), il ne s’agit pas pour Adeline Rosenstein et sa troupe, de se contenter de rétablir le vrai, mais plutôt d’interroger ce qui peut faire encore et toujours le jeu de la désunion lors des batailles sociales.
La pièce joue adroitement sur ces deux tableaux (passé/présent, Histoire/représentation) faisant oublier sa durée conséquente de 2h45. Alors que l’on aurait pu craindre un excès de didactisme ou un rendu nébuleux, ces allers-retours entre considérations historiques et réflexions esthétiques enchantent et entraînent dans un stimulant flot de questions.
« Laboratoire Poison »
Conception, écriture et mise en scène Adeline Rosenstein
Avec Aminata Abdoulaye Hama, Marie Alié, Audilia Batista, Habib Ben Tanfous, Marie Devroux, Salim Djaferi, Djucu Dabo, Thomas Durcudoy, Titouan Quittot, Adeline Rosenstein, Talu, Jérémie Zagba
Au Théâtre Varia, Ixelles (Belgique) du 15 au 19 avril