Fruit d’un travail avec le Groupe 47 de l’école du TNS, L’Esthétique de la résistance transpose dans un spectacle fleuve les presque mille pages du roman éponyme de Peter Weiss. À voir à l’Odéon jusqu’au 16 mars.
Écho à la dernière création de Creuzevault (Edelweiss (France Fascisme)) qui s’intéressait aux intellectuels français ayant collaboré pendant la Seconde guerre mondiale, L’Esthétique de la résistance nous fait suivre les pas d’un jeune prolétaire communiste, avide de révolution et moyens de résister face à la montée du nazisme et autre fascisme de 1937 à 1945. Des cours du soir auto-administrés avec des amis, au front espagnol avec les Brigades internationales, d’un Paris clandestin à un Stockholm incertainement neutre, cet homme anonyme, se retrouve confronté aux décisions unilatérales du Kominterm, rencontre Brecht, essaye par tous les moyens de participer à la résistance communiste allemande et se questionne tout au long des trois livres-parties sur les différentes modalités de lutte.
Portée avec vigueur par les quinze excellent.e.s comédien.ne.s qui se partagent les 38 personnages et jonglent avec aisance entre les langues, on ne voit pas le temps passer pendant les deux premiers livres, d’une bonne heure chacun. C’est foisonnant de références philosophico-artistico-littéraires, de réflexions sur le pourquoi de l’art, mais aussi d’humour et d’espièglerie. Avec cette trame narrative dans laquelle est emportée ce protagoniste suffisamment flou pour permettre identification, on vit cette histoire comme une espèce de cabaret populaire et éducatif. L’art est-il révolutionnaire ? Qui peut créer et avec quels moyens ? Peut-on sans risque utiliser les mêmes armes que son adversaire pour les retourner contre lui ? A-t-on besoin d’une chefferie pour la bonne organisation d’une révolte ? Un.e bon.ne militant.e est-iel un.e soldat.e qui ne pense pas ? On songe encore à tout ça quand la troisième et dernière partie débute. Plus sombre et moins centrée sur les questions esthétiques (alors même qu’elle met en scène un Brecht exilé en pleine répétition de Mère courage), elle laisse rapidement entrevoir une teinte désabusée qui prépare à une fin qui n’en finit pas d’arriver avec un entêtant pessimisme.
Si ce romantisme du martyre, seule voie d’un idéal d’engagement, vient de Weiss, le choix de Creuzevault d’un spectacle d’une durée de quatre heures prend aussi le risque de sonner ses spectateur.ice.s. Reste alors à se remémorer l’enthousiasme juvénile de ces trois amis prêts à faire descendre dans leur quotidien le Grand Autel de Pergame.
crédits image Jean-Louis Fernandez
« L’Esthétique de la résistance »
d’après le roman de Peter Weiss
adaptation et mise en scène Sylvain Creuzevault
avec Juliette Bialek, Yanis Bouferrache, Gabriel Dahmani, Valérie Dréville, Vladislav Galard, Pierre-Félix Gravière, Arthur Igual, Charlotte Issaly, Simon Kretchkoff, Frédéric Noaille, Vincent Pacaud, Naïsha Randrianasolo, Lucie Rouxel, Thomas Stachorsky, Manon Xardel
à l’Odéon jusqu’au 16 mars