Inspirée par le roman Martin Eden de Jack London, la metteuse en scène et écrivaine Alice Zeniter en propose une libre transposition contemporaine tout en conservant le sujet central de l’histoire : le métier d’écrivain.e. En tournée.

Martin devenu Édène, est une jeune femme noire en proie à une irrépressible envie de connaissances et de création - surtout depuis qu’elle a rencontré la cultivée et bourgeoise Rose dont elle s’est amourachée. Elle est hébergée par une amie dans un logement social, travaille dans une blanchisserie le jour et s’échine sur son clavier la nuit. Fatalement, de cette navigation entre deux mondes, dont l’un vient nourrir les aspirations vers l’autre, des tensions et des incompréhensions se font jour, révélant les difficultés autant personnelles que relationnelles à s’affranchir de sa classe sociale. On retrouve la moelle du roman de London, avec ces quelques changements qui pourraient s’avérer d’intéressantes augures. Que tous les personnages soient devenus, indistinctement, des femmes, cela est plutôt, dans un premier temps, intéressant : la sexualité des unes et des autres n’est pas une question, qui veut se met avec qui veut. Mais, autant ce choix ne modifie pas la riche réflexion, reprise ici du roman, autour de la distinction de classe et de la solitude des transfuges, autant cela amoindri une possible réflexion sur le genre et les inégalités qui continuent d’exister entre une auteure et un auteur - différences qui, à l’image de ses deux mots, se lisent plus qu’elles ne s’entendent. Justement, le théâtre étant le lieu de la parole dite qui dévoile, qu’y a-t-il à montrer de ce combat personnel que vit Édène ?

Les lumières vives, les décors inventifs, l’interprétation enlevée d’une multitudes de personnages par seulement cinq enthousiasmantes comédiennes : tout participe à créer un cadre dynamique à cette interrogation, qui, de London à Ernaux, en passant par Eribon ou Louis, demeure une source d’angoisse et de révoltes dans une société occidentale classiste. Mais, alors que Martin Eden nous faisait entrer dans l’intimité d’un homme, Édène, malgré ces autres questions que l’on sentait poindre, ne nous permet pas de véritablement explorer les coulisses de ce sans cesse renouvelé spectacle social, aussi séduisant puisse-t-il paraître.

« Édène »
conception, écriture, mise en scène Alice Zeniter
assistanat à la mise en scène Fanny Sintès
avec Ana Blagojevic, Leslie Bouchet, Chloé Chevalier, Elsa Guedj en alternance avec Mélodie Richard et Camille Léon-Fucien

Vincent Bourdet

Curieux de la rencontre des vivant.e.s, Vincent flotte de forme en forme. Théâtre, musée, salon, cuisine sont la politique de ses écrits