Après avoir marqué durablement nos rétines des rivages de la mer du Nord dans son adaptation théâtrale de La Disparition du paysage de Jean-Philippe Toussaint, le pluriel metteur en scène Aurélien Bory nous plonge, avec Invisibili, au coeur de la Méditerranée. À voir à l'Opéra Comédie de Montpellier les 18 et 19 février.
À l’origine il y a une fresque murale à Palerme. Peint en 1440 dans un hospice pour nécessiteux.se, Le Triomphe de la mort y montre un couple sur le point de mourir entouré d’une cohorte de personnages. Puis vient la volonté pour Bory de rendre hommage à cette ville multi-séculaire aux temporalités sédimentées et de faire écho à l’oeuvre de Pina Bausch, Palermo, Palermo. Ce qui nous mène, ce soir, devant une grande bâche au dimension de la fresque (6x6 mètres) sur laquelle cette dernière est reproduite. Un musicien et ces instruments se tiennent légèrement à l’écart. La feuille de salle, elle, prépare aux interrogations : Quels rapports entretiennent la danse et la peinture ? Quels rapports entretiennent la mort et l’art ? Quels rapports entretenons-nous en tant que spectateur.rice.s avec la mort et son image ? Ne reste plus qu’à attendre le surgissement des cinq danseur.se.s pour faire naître l’oeuvre de l’oeuvre.
Dans un premier temps, la fresque est comme douée d’un supplément de vie, d’une troisième dimension, avec ces corps qui miment les posent représentées. La valse de la vie s’anime, les gestes s’inscrivent de nouveau dans le temps et dans l’espace, la bâche ondule comme si elle cherchait à se répandre sur notre monde. Les époques se rencontrent, les mêmes questions et peurs viscérales se retrouvent. Puis les corps qui mimaient, s’émancipent, se regardent les uns les autres. Un dialogue se tend entre les siècles. Une réalité en deux dimensions entre en résonance avec un réel en trois dimensions. Que disent de notre actualité ses quatre femmes italiennes et cet homme nigérian ? Suffit d’un bateau gonflable, pour que surgisse un autre Triomphe de la mort qui, se rejoue sinistrement depuis des années en pleine Méditerranée devenue cimetière marin pour tant d’éxilé.e.s.
Loin d’être une fin en soit qui laisserait la torpeur s’installer à l’évocation de ces multiples drames, l’embarcation devient le support, le soutien d’une création contemporaine. Vaisseau pris au milieu d’une danse aux mouvements chaloupés, socle précaire auquel il est nécessaire de s’accrocher vaillamment pour s’établir, il se fait aussi le trône d’une émancipation, avant d'être le transmetteur de toutes ces histoires qui l’ont gonflé d’espoir en un souffle musical. À plus de cinq siècle d’écart, une même solidarité face à la mort apparait toujours aussi nécessaire. Éclatant !
« Invisibili »
conception, scénographie et mise en scène Aurélien Bory
musique Gianni Gebbia, Joan Cambon
avec Gianni Gebbia, Blanca Lo Verde, Chris Obehi, Maria Stella Pitarressi, Arabella Scalisi, Valeria Zampardi
à l'Opéra Comédie les 18 et 19 février, au Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg les 2 et 3 mars