De passage à Paris, Lacrima, la nouvelle création à succès de la metteuse en scène et directrice du Théâtre National de Strasbourg, Caroline Guiela Nguyen, nous fait voyager dans l’ombre secrète et invisible de la robe d’une princesse. À voir aux Ateliers Berthier jusqu’au 6 février.
Comment et où se façonne un vêtement qui se doit d’être le plus luxueux, original et le mieux manufacturé au monde ? Nous voilà entre les murs d’une maison de couture française à quelques heures de sa mise en avant spectaculaire : cette dernière a été choisie pour réaliser la robe de mariée de l’actuelle Princesse d’Angleterre. Pour autant derrière les tissus de qualité, les perles et les fils, tout ne semble pas si brillant dans cet univers : éprouvantes deadlines, angoissants accords de confidentialité, hiérarchie déresponsable, consignes décontextualisées, santé abîmée. C’est sur ces douloureux plis que nous amène à porter notre regard Lacrima.
Dans un récit choral foisonnant, Caroline Guiela Nguyen nous emmène à la suite des silencieuses dentelières d’Alençon, aux «infatigables» brodeurs indiens de Mumbai, des visio-conférences internationnales où tout se décide, à l’atelier parisien où l’on tente de plier le réel aux exigences édictées. Ce qui se traduit sur scène par : une impressionnante troupe venue d’horizons différents changeant avec entrain de personnages ; un écran projetant des entretiens en direct mais aussi des éléments de travail ; des décors glissant fluidement au gré des endroits visités. Et au milieu de cette effusion, la fin se trouve peu à peu mise en suspend face aux moyens d’y parvenir. Quelles sont les conditions nécessaires à la fabrication de cette robe ? L’apnée pour les dentellières ? L’aveuglement pour les brodeurs ? Le stress envahissant pour la première d’atelier ? Les closes éthiques, énièmes normes bureaucratiques imposées pour déresponsabiliser les commanditaires ? Nous assistons autant horrifié.e.s que fasciné.e.s au déroulé de ce fil de la souffrance au travail qui semblent pouvoir être tiré (se dévider) indéfiniment.
Mais comme si cela ne suffisait pas à cette fiction qui a l’intérêt d’ouvrir une fenêtre sur le réel du monde de la haute couture, Lacrima convoque aussi des questionnements liés à la famille, aux secrets qui s’y cachent, aux harcèlements qui peuvent s’y jouer, à la violence qui en émane. La pièce qui semblait déjà suffisamment riche, part ainsi vers un ailleurs que l’on a du mal à suivre et qui paraît, à la fin de la représentation, appartenir à autre projet. Comme si deux tableaux avaient cherché à cohabiter dans un même cadre.
crédits image Jean-Louis Fernandez
Lacrima
texte et mise en scène Caroline Guiela Nguyen
avec Dan Artus, Dinah Bellity, Natasha Cashman, Michèle Goddet, Charles Vinoth Irudhayaraj, Anaele Jan Kerguistel, Maud Le Grevellec, Liliane Lipau, Nanii, Rajarajeswari Parisot, Vasanth Selvam et en vidéo Nadia Bourgeois, Charles Schera, Fleur Sulmont et les voix de Louise Marcia Blévins, Béatrice Dedieu, David Geselson, Kathy Packianathan, Jessica Savage-Hanford
aux Ateliers Berthier jusqu’au 6 février, puis aux Célestins, Lyon du 13 au 21 février, au TNB, Rennes du 26 au 28 février, aux Théâtres de la Ville, Luxembourg les 14 et 15, au Théâtre de Liège les 20 et 21 mars, au Centro Dramatico Nacional, Madrid du 28 au 30 mars, du Festival TransAmériques, Montréal, du 22 au 25 mai, au Carrefour international de théâtre, Québec, du 30 mai au 1er juin.