Après plusieurs création pour le répertoire musical classique (Mozart, Chostakovitch, Berg), le plasticien sud-africain William Kentridge propose un singulier opéra de chambre inspiré d’une pièce du sculpteur Alexander Calder. Sibyl était en création française pour le Théâtre de la Ville au Théâtre du Châtelet du 11 au 15 février.
Une première partie intitulée The Moment Has Gone dévoile le processus créatif de l’opéra qui va suivre. Dans un film muet accompagné au piano par Kyle Shepperd et par quatre des chanteurs que nous retrouverons dans Waiting For The Sibyl (l’opéra en tant que tel), nous découvrons Kentridge dans son atelier. Enigmatiquement, il trace des courbes noires sur de grands pans de papier, dessine des éléments plus ou moins reconnaissables, se dédouble, semble commenter son travail. À défaut d’y entrevoir l’opéra à venir ou tout autre contenu tangible, on se laisse porter par la douce partition musicale et les vibrants chants en hausa, zulu, tsawana, venda...
Après ces vingt premières minutes, c’est finalement l’entracte qui offre la possibilité d’ouvrir le livret de salle et d’envisager la création. Inspirée donc d’une courte pièce musicale de Calder créée 1968 (Work in Progress), mais aussi de la figure grecque de la sibylle, prophétesse à qui l’on demandait son avenir, et dont Kentridge voit un rapprochement dans notre rapport actuel aux prévisions par algorithmes, Waiting For The Sibyl s’annonce comme une plongée kaléidoscopique dans le progrès humain.
Crédits photo : Stella Olivier
Dès la première scène, toutes sortes d’éléments sont conviés dans un frénétique enchainement. Mais à défaut d’avoir le temps d’observer les décors, d’écouter et de regarder les neuf chanteur.se.s et danseur.se.s, d’assimiler les sentences projetés, de convier nos propres idées, le rideau tombe au bout de quelques minutes. Et ainsi de suite jusqu’à la sixième et dernière scène. Qu’en retenir ? La musicalité d’une machine à écrire ? La force d’interprétation de la troupe ? Les hypnotisants mouvements chorégraphiés ? Il y a de ça, oui mais il y a aussi les mots adressés à la sibylle. Certains font écho à nos interrogations intimes, alors que d’autres nous parviennent sans que l’on sache pourquoi. En choisissant de construire son livret avec des citations venant de multiples sources (réflexions personnelles, proverbes africains, poésie de diverses époques) mais sans les indiquer, Kentridge s’érige comme démiurge. En les assénant sur scène il donne l’impression de se comporter comme un algorithme dont la logique est connu de lui seul. Alors, certes il y a de l’évasion dans l’aspiration qu’il pratique de notre attention (les chants, les costumes, les danses, les idées visuelles, etc) mais une fois la quarantaine de minutes passés, on en ressort avant tout sonné.e.s. Comme après un annihilant passage sur instagram.
« Sibyl »
conception et mise en scène William Kentridge
composition et direction musicale Kyle Shepherd
composition vocale et metteur en scène associé Nhlanhla Mahlangu
avec Kyle Shepherd, Nhlanhla Mahlangu, Xolisile Bongwana, Thulani Chauke, Teresa Phuti Mojela, Thandazile ‘Sonia’ Radebe, Ayanda Nhlangothi, Zandile Hlatshwayo, Siphiwe Nkabinde, S’busiso Shozi