Qu’arriverait-il au tristement célèbre enfant roux s’il débarquait au théâtre ? Flavien Bellec, Étienne Blanc et Solal Forte s’inspire de l’histoire de Jules Renard pour interroger les violences quotidiennes pratiquées sur scène mais aussi au dehors. Terrible et remuant. Poil de carotte, poil de carotte, en tournée.
Partagé.e.s par le sentiment de déjà connaitre l’histoire, tout en ne sachant pas à quoi nous attendre, nous pénétrons dans la cabane du Monfort avec une certaine appréhension excitée. Pas de décor champêtre, deux chaises qui se font face, un vidéo-projecteur et une console lumière : du théâtre contemporain à n’en pas douter. Mais lorsque Solal Forte descend sur scène et se lance dans une lecture sobre des tourments de Jules Renard consignés dans son journal, on se demande vers où nous partons. Pourtant, la présence fantomatique de Poil de carotte semble partout. Là, avec une petite figurine de dinosaure. Là, avec une perruque rousse. Drôle de sentiment que de se sentir épié.e.s par une figure fictive. Il n’empêche qu’une certaine tension est de plus en plus palpable et que l’on se demande bien qui va s’installer sur cette autre chaise.
À l’arrivée de Flavien Bellec dans le rôle d’un ami venu conseiller Solal Forte dans son adaptation, Poil de carotte semble réduit à un simple prétexte pour amorcer une discussion à sens unique sur le théâtre, ses objectifs, la création, son statut social, etc. Autant certaines idées sont stimulantes et bienvenues, autant le trouble grandit simultanément. Alors que l’on essaye de se repérer dans cette mise en abîme où les comédiens s’interpellent par leur véritable nom, parlent de leurs créations passées, critiquent en acte les attendus de tel ou tel théâtre, nous assistons graduellement à un lynchage d’une rare violence. Empêtré.e.s dans notre statut de public qui préfère découvrir ce que lui réserve la suite plutôt que d’interrompre cette litanie abjecte, nous assistons passivement et avec ambivalence à ces attaques méprisantes et avilissantes. Et quand, le bourreau parti, nous pensons que la victime va se contenter d’encaisser, les rôles s’inversent. Difficile de savoir si les rires qui fusent enjoignent les moqueurs à continuer ou bien s’ils sont de l’ordre du réflexe face à tant d’abjection. Certes on pourrait se dire que ce type de règlement de compte est seulement une illustration de la compétitivité qui règne dans un milieu où réussite et image vont de pairs, mais qu’en est-il de notre comportement en tant que spectateur.rice.s soutiens silencieux et essentiels à la représentation ?
Face à ce duel où nul n’est exempt de violence, on ne sait plus très bien où l’on est, on se demande ce à quoi l’on est venu assister, on s’interroge sur ce que l’on recherche au théâtre, on est pris de vertige face à notre capacité à se taire. Et si jamais ce n’était pas suffisant, le final où une mise à mort est jouée avec une marionnette, nous fait frôler l’insupportable. Il n’en faut pas plus pour que l’on reconnaisse être sur le même bateau que ces deux là. Abyssal.
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Poil de carotte, poil de carotte
conception et interprétation Flavien Bellec, Étienne Blanc et Solal Forte
Vu au Monfort, Paris