UNTITLED MAGAZINE
Pour leur nouvelle création, fidèl.e.s à leur démarche de « théâtre documenté », les co-directeur.rice.s de la compagnie Babel sont parti.e.s de l’ « affaire des chemises arrachées » des directeurs d’Air France en 2015 pour questionner les rapports que nous entretenons avec la violence. Les Moments doux, à voir jusqu’au 20 octobre au Théâtre des Quartiers d’Ivry puis en tournée.
Légitime, tolérée, condamnable, physique, symbolique, psychologique, la notion de violence se pare le plus souvent d'adjectifs qui la placent dans un contexte et la jugent au gré d’une certaine morale. Comment cataloguer alors celle qui consiste à supprimer 2900 emplois ? Et celle qui arrache les vêtements de ses patrons ? Si seule la violence physique de la seconde a été retenue par les médias et les dirigeant.e.s politiques, Élise Chatauret et Thomas Pondevie y ont vu l’exemple flagrant d’une définition à deux vitesses, fruit d’une construction culturelle qui débute dès l’école.
Crédit photo : Christophe Raynaud-de-Lage
Le plateau est divisée en quatre espaces. Devant un semblant de nature (arbres et arbustes éclairés sous néon) digne des cadres de vie conviviaux recréer dans les entreprises, une minuscule salle de classe mobile, un espace de co-working et un salon. Les six comédien.ne.s (toustes excellent.e.s) y passent de rôle en rôle, devenant un moment des élèves sous la douce autorité d’un.e professeur.e, un.e ado aux prises avec le harcèlement scolaire, et encore des D.R.H. formé.e.s à l’écrémage de la masse salariale. Dans ces décors bien amenés et évocateurs (comme toujours dans les pièces de la compagnie), tout un ensemble de dominations et de violences est mis à jour. Comment qualifier cette forme de soumission au groupe ressentie dès les bancs scolaires ? Que faire vis à vis de la brutalité exercée entre les adolescents ? La considération de l’autre et son humanité ont-elles leur place dans l’axiome entrepreneuriale de la rentabilité- efficacité-mise en concurrence ?
Que le théâtre (public qui plus est) soit devenu le lieu commun de la dénonciation de ce monde sauvage et méritocratique, c’est un fait. Mais est-il si exempt de ces comportements violents ? C’est là que la pièce marque un retournement qui la rend d’autant plus intéressante. Après avoir mimé.e.s dans différents domaines de la société les comportements violents qui les sous-tendent, les comédien.ne.s nous font assister à un jeu de massacre impulsé par des coupes budgétaires. Qui aura le plus de légitimité à demeurer sur scène ?
Il y a un côté vertigineux à constater à quel point des comportements communs, familiers, usuels véhiculent leur part de violence. Heureusement, un final sanguinolent et outré vient clore la catharsis... Il rappelle que le théâtre c’est aussi ça, du dialogue, du jeu, de l’amusement, des moments doux.
Crédit photo : Christophe Raynaud-de-Lage
--
« Les Moments doux »
texte Élise Chatauret et Thomas Pondevie en collaboration avec les interprètes
écrit à partir d’entretiens avec des habitants de Sevran, Nancy, Fontenay-sous-Bois et Béthune
mise en scène Élise Chatauret
dramaturgie Thomas Pondevie
avec François Clavier, Solenne Keravis, Samantha Le Bas, Manumatte, Julie Moulier, Charles Zévaco
au Théâtre des Quartiers d’Ivry jusqu’au 20 octobre puis à L’Equinoxe, Châteauroux le 24 janvier 2024, au Théâtre Molière, Sète le 30 janvier, au Théâtre Mâcon le 6 février, au Théâtre Villefranche-sur Saône le 9 février, à Fontenay-en-Scène, Fontenay-sous-Bois le 1er mars, à la MC2, Grenoble, du 4 au 5 avril.
