Choix radical et qui engage, le metteur en scène Stanislas Nordey a eu à coeur d’adapter le dernier roman de Christine Angot, Le Voyage dans l’Est où cette dernière revient sur les traces encore et toujours vives de l’inceste qu’elle a subi. Aux Amandiers-Nanterre jusqu’au 12 mars.
Adaptation, transposition, mise en voix, difficile de classer ce nouveau travail de Stanislas Nordey, surtout lorsque l’on connait son respect viscéral au texte. Mais a-t-on foncièrement besoin d’une étiquette ? Certes il y a la nécessité des mots, le travail d’Angot l’affirme publication après publication, mais il rappelle aussi qu’ils ne pourront jamais figer définitivement une réalité. Alors il faut recommencer, toujours. Retourner sur les lieux, dialoguer de nouveau avec les différent.e.s protagonistes, confronter les souvenirs, dire et écrire, encore et toujours. Les mots, passeurs limités et temporaires.
Trois Christine à trois âges différents sont présentes sur le plateau. Aucune ne possède la vérité. Il n’y a pas d’échanges critiques entre elles, mais un passage de relais tout en considération envers les différentes périodes de leur être. Comme chez Springora ou chez Kouchner, c’est le contexte familial qui intéresse, qui questionne. Qu’ont fait ou pas fait celleux qui étaient au courant ? Comment l’ont-iels vécu ? La mère, le père, le premier petit ami, le mari, sont toustes présent.e.s sur scène. Mais à la différence de son documentaire à sortir (Une Famille*), c’est médiatisé à travers le regard de Christine Angot et ses souvenirs, qu’iels évoluent à ses côtés. Cerné.e.s par cette substance traumatique, iels se meuvent difficilement, gardent les poses qui se sont inscrites dans sa mémoire. Fantômes encore bien vivants, iels infusent et diffusent ce passé qui ne passera jamais. Autant la première partie, narrative, nous laissait (in)confortables à notre place de spectateurice, autant la suite de la pièce répand une atmosphère suffocante à laquelle rien, pas même les comédien.ne.s toustes excellent.e.s, ne nous permet d’imposer une distance.
Mais pourquoi alors allez voir une pièce qui clame que cet inceste sera sans fin ? Parce que le théâtre, davantage que le livre, permet aux mots d’avoir une existence objective et partagée. Parce que le théâtre, comme nous venons d’en faire l’expérience, est un lieu où il ne peut pas y avoir de non-lieu, contrairement à la justice.
*le documentaire sera diffusé en avant-première aux Amandiers le lundi 11 à 20h en présence de l’autrice.
crédits image Jean-Louis Fernandez
« Le Voyage dans l’Est »
texte Christine Angot
mise en scène Stanislas Nordey
avec Carla Audebaud, Cécile Brune, Claude Duparfait, Pierre-François Garel, Charline Grand, Moanda Daddy Kamono, Julie Moreau
aux Amandiers-Nanterre jusqu’au 12 mars.