25 ans après avoir assisté à la pièce du Théâtre Tattoo, Le Ciel est loin la terre aussi, Aurélien Bory en propose sa propre mise en scène à travers les impressions qui lui en subsistent. Je me souviens Le Ciel est loin la terre aussi, en tournée.
Autant la photographie est la trace d’un moment définitivement passé (le ça a été de Barthes), autant le théâtre développe un rapport ambigu au temps entre éternelle recréation d’un texte passé et incessante intervention du présent. Qu’Aurélien Bory se lance alors dans cette (re)mise en scène accompagné de Mladen Maetric, créateur de la pièce originale, qu’il fasse jouer les mêmes comédien.ne.s (Haris Haka Resic et Jelena Covic) dans les décors retrouvés dans les caves du Théâtre Garonne, ne pouvait qu’attiser ma curiosité.
D’emblée, la teneur méta est affirmée : sur scène, un régisseur, casque sur les oreilles, micro à la bouche, veille à notre entrée dans la salle. C’est lui qui lance la représentation en projetant une captation filmée de l’oeuvre originale alors qu’apparait sur le plateau Aurélien Bory, metteur en scène se faisant acteur de cette pièce abyssale. Jouant avec la projection du titre et des mots qui le constituent, il tourne autour de ces images et convoque ses innombrables souvenirs devenant sur scène une multitude de balles de ping pong. Le déversement de ces petite boules blanches à travers des éléments du décor donne une certaine poésie formelle au fonctionnement de la mémoire. Cet ensemble de souvenirs distincts devient un tout aux contours mouvant comme ceux d’une mer sur laquelle il est possible de flotter au gré des marées mémorielles. C’est sur ce sol instable que va se rejouer cette histoire familiale d’émancipation et de perte entre parents et enfant. Et sans savoir ce qui appartient à la pièce originale et aux souvenirs de Bory, n’ayant pas vu la première, je n’ai d’autres choix que de me laisser porter dans cet intime voyage.
Aidé par le régisseur, qui rappelle sans cesse, par sa présence, la re-création en cours, Bory fait glisser les décors originaux, convoque les mêmes en version augmentée, le tout dans une suite de tableaux lumineux aussi évocateurs que mystérieux - je retrouve là ce qui m’avait marqué dans La Disparition du paysage. Au sein de ce ballet hypnotisant, demeure muet un couple de parents sur lequel se projette un flot de questions/réponses venus de la tête des spectateur.rice.s. C’est sans doute ici que l’on touche à la radicale proposition du Théâtre Tattoo à laquelle se joint Aurélien Bory : placer la production du discours de la pièce autant du côté de la scène que de celui des gradins. Sur l’histoire simple mais essentielle de l’impermanence et des choix qui conditionnent toute vie (du moins c’est ce que j’y ai vu), le spectacle avance et se charge, après ceux de Bory, des souvenirs de chaque membre du public.
Bien loin d’une recréation analytique dont les résultats artisco-psy seraient laissés au jugement des spectateur.rice.s, Je me souviens Le Ciel est loin la terre aussi propose une exploration conjointe et intime de nos rapports au temps, entre fuite volontaire et présence nécessaire. On en sort flottant.e.
--
"Je me souviens Le Ciel est loin la terre aussi"
conception, scénographie, mise en scène Aurélien Bory et Mladen Maetric
avec Aurélien Bory, Haris Haka Resic, Jelena Covic et Mickael Godlibe