Pour le troisième automne consécutif, le Théâtre équestre Zingaro ouvre ses portes à une culture nomade dans un vibrant hommage poétique. En invitant cette année des artistes iraniennes à se produire avec sa « tribu mi femmes mi chevaux », le Cabaret de l’exil entre sans faiblir en résonance avec la plus vive actualité politique. Cabaret de l’exil - Femmes persanes à découvrir au Fort d’Aubervilliers jusqu’au 31 mars 2024
Pour qui n’est jamais venu.e, l’impression est déjà forte lorsque se découvre ce théâtre tout de bois vêtu ceinturé par l’asphalte, le béton et les engins de constructions. La truculence des costumes du personnel d’accueil, le vaste «restaurant» à l’allure tzigane, le feu qui crépite jamais loin, les écuries saturées d’odeurs animales qui nous mènent jusqu’au cirque, les trois premières rangées où du thé chaud et des biscuits attendent certain.e.s spectateur.ice.s, tout cela est déjà une représentation en soi. Mais lorsque l’on s’assied face à cette scène comme engloutie sous un liquide rouge sang au milieu de laquelle seule surnage une chaise d’écolier.e, l’abjecte actualité surgit. Alors que les images et les sons des écolières afghanes privées d’enseignement et celles de la jeunesse iranienne qui pleure ses pertes nous reviennent en mémoire, un âne accompagné d’une femme entre en scène au son des setâr, santour, tombak et kamancheh, tous instruments traditionnels perses. En un instant la culture et l’horreur se rencontrent. Mais plutôt que d’aborder frontalement les politiques inhumaines à l’oeuvre en Iran ou Afghanistan, ce Cabaret de l’exil va chercher à ouvrir le champ (chant) de l’espoir à travers des balades dans le passé de ces pays et cultures.
Crédit photo : Hugo Marty
C’est ainsi que de numéro en numéro, au gré des mouvements d’une sorte de maîtresse du temps, on assiste à une exploration kaléidoscopique des us et coutumes passés. Ici de vaillantes chevauchées de guerrières scythes dont l’antique civilisation était fondée sur le matriarcat. Là des peuples nomades où l’égalité entre les genres se fait à dos d’ânes et de mulets. Puis voilà que l’on se fait happer par l’ensorcelant mouvement d’une derviche tourneuse. Qu’on virevolte dans les rubans d’un duo d’acrobates. Qu’on s’amuse devant une course d’ânes retors. Mais, passés ces divertissants et impressionnants moments, alors que l’on respire entre deux numéros, des réflexions moins joviales s’énoncent. Comme en intimes échos aux poèmes qui émaillent le spectacle et qui semblent sans âge tant les mêmes questions reviennent, l’on se demande ce qu’il va rester de ces cultures dans leurs pays d’origines ? Si la création artistique a encore un futur en Iran et en Afghanistan ? Si l’art a sa place dans cette lutte que l’on croirait infinie ?
En quittant le cabaret et en retrouvant un peu de chaleur (humaine) devant le grand feu de palettes, on se dit que ce spectacle est à l’image de son numéro de capillotraction, où une femme, suspendue par ses cheveux, tournoie dans les airs, alors même que de jeunes filles iraniennes sont tuées pour quelques mèches volantes. Alors que l’on oscille entre le besoin cathartique du théâtre et le rapport ambigu au réel qu’il entretient (que pensent les animaux de ce spectacle pour lequel ils sont dressés ?), on quitte cet oasis artistique partagé.e.s entre le plaisir ressenti lors du spectacle et les douleurs qu’il convoque.
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Cabaret de l’exil - Femmes persanes
scénographie, conception et mise en scène Bartabas
assistante à la mise en scène Emmanuelle Santini
musiciennes Firoozeh Raeesdanaee, Shadi Fathi, Farnaz Modarresifar, Niloufar Mohseni, Catherine Pavet
avec Amandine Calsat, Sahar Dehghan, Stéphane Drouard, Marion Duterte, Johanna Houé, Camille Kaczmarek, Perrine Mechekour, Alice Pagnot, Tatiana Romanoff, Emmanuelle Santini, Alice Seghier, Eva Szwarcer, Henri Carballido, Yaël Coudray, Volodia Girard, Florent Mousset, Paco Portero et Corto, Dun, Famoso, Guerre, Hamadan, Harès, Héragone, Hercule, Houblon, Inca, Isope,Ispahan, Jade, Kaboul, Kandahar, Karaj, Kawa, Pablo, Parade, Qom, Raoul, Tabriz, Téhéran, Vino, Zurbaran, la Mule et l’Âne et la mule Chiraz
Au Théâtre équestre Zingaro - Fort d’Aubervilliers jusqu’au 31 mars 2024.