La fin de mois est difficile et vous ne pouvez pas vous offrir les livres de la dernière rentrée littéraire ? Pas d’inquiétude, la rédaction d’Untitled Magazine a pensé à vous et vous a concocté une sélection de livres à petit prix mais de grande qualité !
Humeur noire, Anne Marie Garat
Alors qu'elle visite le musée d'Aquitaine de Bordeaux, sa ville natale qu'elle a quitté depuis déjà longtemps, Anne-Marie Garat n'en croit pas ses yeux : un cartel parle des "Noirs et des gens de couleurs", esclaves ou affranchis entraînés à Bordeaux dans le cadre de la traite négrière. Seulement le cartel ne le dit pas dans ces mots-là et invisibilise le passé esclavagiste de la ville.
C'est donc d'une colère, d'une humeur noire, que naît ce livre dans la tête de l'écrivaine. Elle n'accepte pas que le langage, son obket de travail quotidien, soit vidé de son contenu pour passé sous silence une époque honteuse de son pays. Alors que d'autres villes telles que Nantes font désormais face à ce passé esclavagiste, le refus du musée d'Aquitaine de le faire mène Anne-Marie Garat à revenir sur des siècles où la ville a bénéficié du commerce triangulaire, dans une réflexion passionnante et une recherche documentaire poussée. L'autrice s'interroge également sur son lien personnel à Bordeaux, et donc sur son enfance juste après la Seconde guerre mondiale et à ce qui l'a poussée à quitter cette ville.
Un livre fort, au croisement entre l'autobiographie et l'essai qui met le doigt sur le refus encore trop présent de nombreuses villes françaises de faire face à leur passé colonial et esclavagiste.
Critique rédigée par Mathilde Ciulla
"Humeur noire", Anne-Marie Garat, Editions Babel/Actes Sud, 304 pages, 9,40€
Qui a peur de la mort ?, Nnedi Okorafor
Nnedi Okorafor est sans aucun conteste la plume d'un courant de la fantasy inclusif, notamment avec Onyesonwu, l'héroïne de son livre dont le nom signifie "Qui a peur de la mort". Un nom qui la prédestine à vivre des aventures dans un monde post-apocalyptique qui ressemble pourtant encore bien au nôtre : lutte ancestrale entre les tribus Nuru et Okeke, génocide, ségrégation, viol comme arme de guerre et domination masculine.
Onyesonwu grandit à la marge, née d'un viol, dans un village qui se méfie d'elle, auprès d'une mère qu'elle vénère pour son courage et sa gentillesse. Quand elle développe des capacités magiques, sa mère n'en est pas surprise et c'est au contact de Mwita et du sorcier du village, que la jeune fille apprendra à contrôler ses pouvoirs. Lorsque son père adoptif meurt, Onyesonwu et ses ami.es se lancent dans un grand voyage à travers le désert pour retrouver son père biologique.
D'une plume acérée qui décrit parfois avec âpreté des scènes horribles de viols ou d'excision, Nnedi Okorafor réussit à créer un monde violent et une quête trépidante. On a hâte de voir comment HBO l'adaptera en série !
Critique rédigée par Mathilde Ciulla
Quatrième génération, Wendy Delorme
Professeure, traductrice, auteure, performeuse et militante LGBT, Wendy Delorme a su se faire une place de renom dans le milieu de la littérature et des essais de société, notamment sur les enjeux féministes contemporains. Quatrième génération est son premier roman.
A travers ce roman d’autofiction queer, Wendy Delorme signe un essai sur le saphisme et la sexualité. Marion, travailleuse du sexe établie aux Etats-Unis, que l’on suit de Paris à San Francisco, nous raconte ses expériences et explorations sexuelles, ses relations, son attirance pour les corps et la complexité qu’il en résulte dans un monde binaire : “Maman aussi est un peu perdue dès qu’on sort des catégories homme/femme. C’est pas sa faute. La pensée binaire a été remplacée par la pensée du continuum quand elle avait la quarantaine. C’est un peu tard aussi pour elle de s’y habituer j’imagine.”
C’est aussi un texte sur l’enfance, les générations de femmes en passant par le vécu de son arrière-grand-mère, de sa grand-mère et de sa mère, de leurs relations amoureuses et sexuelles, de comment être une femme à l’époque et assumer ses désirs, mais aussi au travers de ces quatre générations, l’évolution du féminisme et de l’intégration de la communauté LGBTQ+ du XXe au XXIe siècle.
Dans une plume vive et crue, Wendy Delorme ne mâche pas ses mots et réussit à parler de sexe et des corps, sans jamais tomber dans une vulgarité grossière.
Critique rédigée par Laurence Lesager
"Quatrième génération", Wendy Delorme, Editions Points, 272 pages, 8,10€
La cité de mon père, Mehdi Charef
Après la guerre d’Algérie, l’exil, les bidonvilles, la cité de transit… la famille d’Ahmed vit enfin dans un logement salubre qui fait enfin la fierté de sa famille. A 17 ans, dans les années 1970, Ahmed est ouvrier et aide chaque jour à subvenir aux besoins d’une famille nombreuse. C’est son histoire que Mehdi Charef a souhaité nous raconter. Celle d’un enfant de l’immigration, fils d’immigrés algériens. Avec La cité de mon père, l’auteur propose une narration en deux temps. Celle du présent, adressée aux lecteurs dans laquelle il raconte son arrivée dans les HLM, l’appartement de quatre pièces dont son père est fier et l’exil par lequel sa famille est passée avant d’en arriver là. C’est également celle du passé, racontée à sa sœur, morte pendant son enfance, racontée à travers des lettres dans lesquelles il relate les moments sombres de leur vie en Algérie durant la guerre.
Dans ce récit court, d’à peine plus de 100 pages, l’auteur aborde la difficulté pour les enfants de l’immigration à s’intégrer dans un autre pays. Étranger en Algérie mais également étranger en France, Ahmed se sent impuissant et seul. Quel que soit le pays dans lequel il se trouve, le sentiment d’être un étranger reste accroché à lui. Entre les lettres envoyées à sa sœur décédée qui rappellent le souvenir de sa vie en Algérie et les tracas de la vie en France, le jeune Ahmed livre un témoignage juste et émouvant sur la vie de ces enfants qui tentent désespérément de trouver leur place dans une société. Avec La cité de mon père, Mehdi Charef porte un regard plein de tendresse pour ses parents qui ont tant désiré la réussite de leurs enfants dans ce pays “de la seconde chance” mais aussi lucide sur cette double identité et ce sentiment de n’être nulle part chez soi.
Critique rédigée par Marie Heckenbenner
"La cité de mon père", Mehdi Charef, Editions Pocket, 112 pages, 6,40€
Noces de jasmin, Hella Feki
Le 4 janvier 2011 à Sidi Bouzid, Mohamed Bouazizi meurt après s’être immolé par le feu. Vendeur ambulant, il tentait de subvenir aux besoins de sa famille. Racketté depuis de nombreuses années par les services officiels, il se fait une nouvelle fois confisquer sa charrette et sa balance. Une fois de trop pour ce Tunisien qui estime “qu’un pauvre n’a pas le droit de vivre”. Un acte désespéré qui signera le début de la révolution tunisienne, qu’on nommera aussi la révolution de jasmin.
Pour nous faire vivre cette révolution de l’intérieur, l’auteure nous entraîne dans le quotidien de deux jeunes Tunisiens : celui de Mehdi, journaliste et de Essia, son amoureuse. Mehdi verra ses droits bafoués, il sera enfermé, torturé, mais jusqu’au bout décidera de résister et de tenir, pour lutter. Essia, elle, brûle d'amour et de passion pour ce dernier, et fera tout pour le retrouver, vibrant de son court passé avec lui et de leurs souvenirs d’étreintes.
A travers ce roman, où les voix d’hommes et de femmes, de jeunes et de moins jeunes s'entrechoquent, la romancière nous fait prendre part à l’une des plus grandes révolutions citoyennes de notre décennie. Celle d’un peuple décidé à renverser le pouvoir en place, celui de Zine el-Abidine Ben Ali. Un livre émouvant et nécessaire qui rend hommage à ceux qui ont eu le courage de s’engager, avec une pensée particulière pour Mohammed Bouazizi.
Critique rédigée par Marie Heckenbenner
"Noces de jasmin", Hella Feki, Editions Le Livre de Poche, 192 pages, 7,90€