Il est parfois difficile de faire le tri parmi les presque 500 ouvrages qui sortent à chaque rentrée littéraire, et il est surtout trop cher de tous les acheter en grand format. Alors, pour celles et ceux qui sont patient.e.s, voici quelques livres de la rentrée littéraire de l'année dernière qui sont désormais disponibles en poche !
Mécano, Mattia Filice
Qu'est-ce que c'est réellement d'être mécano, ou communément appelés les conducteurs de train ? Le narrateur du roman décide d'intégrer la SNCF pour devenir mécano. Avec lui, on suit le processus de recrutement pour accéder au graal suprême de mécano, un aventurier du rail.
La forme du roman est une oeuvre en elle-même, Mattia Felice passe de la prose aux vers libres entre les chapitres. Pour raconter le recrutement, pour raconter la vie des collègues et des apprentis comme lui, il utilise la prose alors que lorsqu'il décrit ses états d'âmes et son intériorité, lorsqu'il témoigne de sa sensibilité et de la poésie du métier, il passe aux vers. Cela donne un rythme singulier au roman.
Ce roman est autant un état des lieux du métier, les longues nuits, les trajets, les accidents, les erreurs humaines qu'une éloge a ce métier méconnu. Autant poéte que novelliste, Mattia Felice rend leurs lettres de noblesse aux mécanos.
Critique rédigée par Mathilde Jarrossay
"Mécano", Mattia Felice, Editions Folio, 384 p. 9€40
Les silences des pères, Rachid Benzine
Après vingt-ans loin de sa ville natale, un fils reçoit un appel lui annonçant le décès de son père. Un père qu’il n’avait pas vu depuis des années. En cause ? De nombreux non-dits et silences. Mais lorsqu’il revient à Trappes pour les funérailles, il découvre dissimulée dans la salle de bains une enveloppe contenant plusieurs cassettes audios. Chacune est soigneusement étiquetée avec un lieu et une année. La première cassette, datée de 1965, est le récit d’un jeune immigré dans le Nord de la France qui raconte à son père resté au pays sa vie d’exil. Il y raconte ses conditions de travail difficiles dans les mines, la manière dont il est perçu en France, la douleur de l’éloignement, ses désillusions, son mariage et ses enfants. A une époque où les téléphones n’existaient pas et où la lecture n’était pas accessible à tous, ces enregistrements sont alors tels des lettres, pour cette famille loin de lui.
Rachid Benzine explore avec finesse le temps du deuil et des regrets. Mêlant passé et présent, il aborde des thèmes tels que le sacrifice, l’amour paternel, les relations complexes père-fils mais aussi des sujets sociaux comme l’immigration, les conditions de travail des immigrés et certaines formes d’exploitations. La musique, omniprésente dans le récit, entraîne le lecteur vers une mélodie douce et lyrique, le tout sublimé par l’usage des cassettes et de leurs voix. Un magnifique roman qui conte l’histoire d’un fils, qui à la mort de son père, tente de retracer le parcours de cet ouvrier marocain, silencieux.
Critique rédigée par Marie Heckenbenner
"Les silences des pères", Rachid Benzine, Editions Points, 144 p., 6€95
Hors d'atteinte, Marcia Burnier
Erin et sa chienne Tonnerre tournent en rond dans leur petit appartement parisien. La jeune femme peine à s’entourer et ne trouve plus d’intéret à son emploi. Il faut dire que personne ne semble faire l’effort d’essayer de la comprendre, et elle ne sait formuler les choses : elle a réussi à se libérer d’une relation d’emprise mise en place par son ex petit ami, qui l’a maltraitée psychologiquement pendant des années, l’a rabaissée et l’a laissée, exsangue, sans plus aucune confiance en elle.
Alors une deuxième fuite semble être pour Erin l’unique solution : elle loue une maison dans les Pyrénées, elle retrouve les montagnes, la neige et la nature qui l’ont entourée toute son enfance alors qu’elle grandissait dans les Alpes. Quel bonheur pour elle de voir sa chienne s’ébrouer dans le jardin, et elle-même retrouver, petit à petit, une forme de confiance en elle : son corps est capable, malgré ce qu’il lui a répété pendant des années, il la soutient quand elle fait de longues randonnées, quand elle conduit sa voiture, quand elle s’occupe de sa chienne et du chat noir qu’elle recueille. Et peut-être qu’il faut bien cela à Erin pour nouer de nouvelles amitiés et pouvoir à nouveau s’ouvrir aux autres.
Marcia Burnier signe un nouveau roman de reconstruction, dans lequel la nature est centrale et la force féminine nourrie par le temps et le soin. On ressort de cette lecture un peu plus énervée contre le patriarcat et encore plus confiante en nos ressources pour inventer un mode de vie qui nous convienne mieux.
Critique rédigée par Mathilde Ciulla
"Hors d'atteinte", Marcia Burnier, Editions Cambourakis poche, 168 p., 10€
L'enlèvement, Grégoire Kauffmann
Grégoire a 11 ans et son frère Alexandre, 9 ans. Tous deux, viennent d’apprendre que leur père vient d’être enlevé par le Hezbollah à Beyrouth. Nous sommes le 2 mai 1985. Deux mois plus tôt, les diplomates Marcel Carton et Marcel Fontaine avaient été enlevés par le Jihad islamique, une faction clandestine liée au Hezbollah.
Dans ce récit empreint d’émotion, l’auteur raconte les trois années qui ont suivi l'enlèvement de son père, mêlant avec habilité les souvenirs de son enfance et une réflexion nourrie par son regard d’historien. A travers les archives familiales découvertes bien plus tard, il dévoile les luttes, les démarches et la mobilisation acharnée de sa mère, omniprésente dans les médias et les cercles de négociations, entourée de son comité de soutien. Cette période, marquée en politique par la cohabitation de Mitterrand-Chirac et l'élection présidentielle de 1988, met en lumière les grandes rivalités entre la gauche et la droite. Derrière les négociations opaques et les tractations politiques, le sort de ce journaliste devient pour tous un véritable enjeu national.
Un ouvrage poignant, à la fois intime et familial, dans lequel Grégoire Kauffmann, mêle l’examen minutieux d’archives avec ses souvenirs d’adolescent. Une double perspective qui lui permet de retracer avec justesse le combat acharné mené à l’époque pour la libération des otages.
Critique rédigée par Marie Heckenbenner
"L'enlèvement", Grégoire Kauffmann, Editions J'ai lu, 480 p., 8€90
Les insolents, Ann Scott
Alex, Margot et Jean forment un trio inséparable. Pourtant Alex,compositrice talentueuse, a choisi de quitter Paris pour venir s’isoler en Bretagne. A 45 ans, elle s’installe dans un lieu reculé, loin de l’agitation urbaine, où elle devra se réinventer une vie. Peu importe les défis et les obstacles qu’elle devra surmonter, elle réalise enfin son rêve : mener une vie solitaire, libre et en harmonie avec elle-même.
Avec les Insolents, Anne Scott livre un récit intimiste où l’exil volontaire devient une véritable quête de soi. Avec son écriture sensible et immersive, elle explore les liens humains et emmène avec elle, le lecteur dans cette quête de sérénité. L’amitié, véritable pilier émotionnel de l’histoire, démontre ici que malgré des choix de vie différents, elle reste une force inébranlable qui dépasse le temps et la distance. Ce roman nous entraîne également au cœur des profondeurs de la solitude, des doutes et des questionnements existentiels. Au fil des pages, l’autrice explore avec finesse des thèmes universels : le sens de l’existence, les rêves inachevés, mais aussi les absurdités du monde et les illusions véhiculées par les réseaux sociaux.
Malgré quelques longueurs, ce texte est une véritable odé à la liberté, à la musique et à la beauté des liens humains.
Critique rédigée par Marie Heckenbenner
"Les insolents", Ann Scott, Editions J'ai lu, 224p. 7€80
Le grand secours, Thomas B. Reverdy
Il est 7h00 à Bondy et Mo part au lycée. C'est le point de départ de ce roman, qui semble des plus banal, mais au fur et à mesure de la journée, la colère qui gronde va enfler jusqu'à l'irréparable, pour une bataille advenue à 8h sous le pont de Bondy. Voici résumé assez simplement ce roman.
Découpé selon les horaires du lycée, entre les sonneries des cours, les récréations et la pause repas, ce roman suit le court d'une journée d'école. On suit Paul, un écrivain en perte qui vient donner un atelier dans ce lycée, Candice la prof de théâtre et de français dévouée, évidemment Mo, le lycéen pris au piège de cette histoire. Ces personnages vont être chacun touché de près ou de loin par cette histoire, une bagarre qui tourne mal.
Thomas B. Reverdy nous tient en haleine durant tout le roman, on veut assister au point d'orgue. Au-delà de cette tension, c'est aussi la réalité d'un lycée de banlieue délaissé par l'Education nationale où on laisse les jeunes livrés à eux-mêmes. C'est un roman dit de banlieue réussi. L'auteur nous dit la difficulté de vivre et d'enseigner sur les territoires précaires.
Critique rédigée par Mathilde Jarrossay
"Le grand secours", Thomas B. Reverdy, Editions J'ai lu, 352p., 8€10