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[Gazette littéraire] Les pépites du trimestre #4

15 avril 2025, par Untitled Magazine

Pour maintenir la tête hors de l'eau des sorties de livres qui s'enchaînent, Untitled Magazine a rassemblé ses meilleurs éléments pour tenter de trouver les pépites littéraires publiées au cours des trois derniers mois. Attention, sélection non exhaustive mais excellente !

Scarborough, Luc Dagognet

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Le roman de Luc Dagognet est définitivement placé sous le signe du labyrinthe, des chemins détournés et des strates qui existent dans la vie. S’il s’ouvre sur un récit enchâssé - celui présent dans un livre à l’auteur mystérieux hérité d’une vieille tante -, il se poursuit par une ritournelle entendue dans l’enfance et revenue hanter le narrateur, devenu prof d’anglais, des décennies plus tard. Aurait-il été ensorcelé par un extrait musical entendu sur internet alors qu’il tente d’élucider le mystère de ces quelques notes qui refont surface ? En tout cas, certaines choses semblent bien se détraquer dans sa vie, comme cet élève qui apparaît et disparaît de sa classe…

Tout semble alors le mener à Scarborough, petite ville anglaise sur la côte où il sait qu’il doit se rendre, à la fois pour souffler, prendre du recul sur ce qui lui arrive et poursuivre la piste de cette ritournelle. Disquaire rock, pub anglais, balades sur la plage… L’enquête de notre (anti-)héros n’est pas des plus conventionnelles. Mais rien ne l’est avec ce roman qui fait la part belle au comique de situation et aux mystères.

C’est avec une forme de tendresse envers les traumatismes de la vie et un univers décalé qu’on embarque avec grand plaisir vers l’Angleterre, accompagné.es des notes de la chanson de Simon & Garfunkel !

Critique rédigée par Mathilde Ciulla

"Scarborough", Luc Dagognet, Éditions Do, 184 pages, 17 €

La Hchouma, Dounia Hadni

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“Sois polie, sois jolie, ne ris pas trop fort juste un peu, tiens-toi bien, ne bois pas trop mais un peu quand même, cache toi pour manger c’est ramadan”... Sinon ce sera la hchouma, la honte en arabe. Née au sein d’une famille aisée au Maroc, Sylia est jugée comme trop moderne et trop libérée pour être considérée comme une “bonne” musulmane. Et pourtant malgré son émancipation, en France, elle est encore considérée comme une maghrébine. Prisonnière entre deux cases, entre deux visions du monde, comment se construire quand on est tiraillée entre deux sociétés ? 

Entre injonctions familiales, attentes sociales et stéréotypes, Dounia Hadni dresse le portrait d’une jeune fille en quête d’identité. Mais comment trouver sa place dans ce monde où les diktats peuplent notre vie et notre esprit ? Sans cesse renvoyée à ses racines, la jeune fille rejette toutes les cases dans lesquelles on tente de l’enfermer. “Ni parisienne”, “ni marocaine”... elle ne correspond à aucun cliché et n'est finalement qu’une étrangère, peu importe le pays. Mais pourquoi est-ce si compliqué d’exister, sans avoir à se justifier ?

Dans ce premier roman, et à travers le portrait de la jeune femme, l’autrice explore en profondeur cette lutte intérieure. Entre soumission, obsession des apparences, pudeur… elle met en lumière ces chaînes invisibles qui entravent l’esprit et empêchent tout simplement d’être soi.

Critique rédigée par Marie Heckenbenner

"La Hchouma", Dounia Hadni, Editions Albin Michel, 192 pages, 18,90 €

Beyrouth Forever, David Hury

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Marwan, un flic proche de la retraite, pense en avoir terminé avec les enquêtes avant sa fin de carrière mais c'était sans compter sur ce dernier meurtre : une vieille dame, universitaire, retrouvée morte chez elle, meurtre maquillé en suicide. Assistée d'une jeune recrue, Ibtissam, Marwan va devoir découvrir la vérité sur ce meurtre et surtout comprendre son rapport avec son travail sur un manuel de l'histoire du Liban. 

Ce roman est un portrait vibrant et sensible de la ville de Beyrouth. David Hury donne un éclairage sur cette ville qui a été marquée par les guerres, par les gouvernements démissionnaires, autoritaires et corrompus. Il donne à voir Beyrouth dans tous ces aspects, tous les manques auxquels font face les Libanais mais aussi la douceur de la ville qui regorge d'histoire. Dans ce roman, David Hury met en cause les dirigeants de ce pays qui ne livrent qu'une version partielle de l'histoire de leur pays et de ce qui se passe vraiment derrière les suicides camouflés. 

C'est aussi un polar haletant autant qu'une histoire géopolitique. On suit deux personnages que tout oppose mais qui finalement vont faire équipe pour faire éclore la vérité et pour le bien commun. David Hury réussit un polar géopolitique qui nous tient en haleine jusqu'à la dernière ligne. 

Critique rédigée par Mathilde Jarrossay

"Beyrouth Forever", David Hury, Editions Liana Levi, 304 pages, 20 €

Cérémonie d'orage, Julia Armfield

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Le monde imaginé par Julia Armfield ressemble bien au nôtre à un détail près : le dérèglement climatique y est plus avancé et la ville de Londres où se déroule l’histoire a subi de très fortes inondations, forçant les habitant.es à monter toujours plus haut dans les buildings. Mais le capitalisme semble faire ce qu’il sait le mieux faire, s’adapter à ce nouvel environnement et forcer tout le monde à le faire également, dans des conditions de vie sans cesse menacées.

C’est dans cette ville que prend place l’intrigue de Cérémonie d’orage alors qu’un architecte mondialement connu décède et laisse un héritage à ses trois filles qui sont brouillées. Et si elles ne se parlent plus, on comprend petit à petit que c’est sans doute à cause des manipulations paternelles au cours de leur enfance. Le roman est finalement la tentative pour ces trois femmes, toutes trois lesbiennes, de trouver leur place dans un monde qui s’écroule et de se construire en dehors des normes imposées.

A travers le miroir déformant que nous tend Julia Armfield, c’est bien de notre monde qu’elle nous parle, des difficultés familiales et des incompréhensions qui prennent tant de place dans nos relations. Un drame queer qu’on ne peut lâcher, magnifié par une écriture singulière et des personnages attachants.

Critique rédigée par Mathilde Ciulla

"Cérémonie d'orage", Julia Armfield, traduit de l'anglais par Laetitia Devaux et Laure Jouanneau-Lopez, Editions La Croisée, 304 pages, 22 €

La fille qui ne voulait pas se taire, Abi Daré

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Adunni, jeune adolescente de quatorze ans, vit au Nigeria avec son père et ses deux frères. Depuis la mort de sa mère, elle se retrouve seule et sans défense. Jusqu’au jour où son père décide de la “donner en mariage” à un homme plus âgé qu’elle, et faisant d’elle sa troisième épouse. Au sein de ce nouveau foyer, la jeune fille va vivre un enfer. Pourtant, elle ne cède pas. Déterminée à ne pas se laisser écraser par un destin qu’on a choisi à sa place, et animée par un rêve plus fort que tout, elle aspire à apprendre, à lire et un jour, à aller à l’école et devenir enseignante.

A travers l’histoire d’Adunni, la romancière propose une réflexion profonde sur la condition des femmes au sein des sociétés dominées par le patriarcat, mais aussi sur les inégalités en matière d’accès à l’éducation. Dans cette société où les femmes sont trop souvent condamnées au silence, à la souffrance et à l’injustice, la jeune fille incarne avec brio le symbole de la résistance et le désir farouche de s’affranchir. A travers le parcours de son héroïne, Abi Daré met en lumière les inégalités profondes entre les sexes au Nigéria, tout en dénonçant les disparités sociales. 

Malgré une forme littéraire assez classique, ce roman porte un regard lucide sur la société nigériane et met en évidence à quel point l’accès au savoir constitue un outil fondamental pour l’indépendance et la libération des jeunes filles.

Critique rédigée par Marie Heckenbenner

"La fille qui ne voulait pas se taire", Abi Daré, traduit de l'anglais par Laura Derajinski, Editions Harper Collins, 448 pages, 15,99 €

Ravagés de splendeur, Guillaume Lebrun

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Après un premier roman très remarqué où il s'attaquait à la figure de Jeanne d'Arc, Guillaume Lebrun revient avec un roman tout aussi absurde et fantasque mais qui cette fois nous emmène dans la Rome Antique. Heliogabale devient empereur, soutenu par sa femme et par un ancien esclave, tous les trois forment le nouveau Triumvirat qui règne sur la ville. Mais rapidement, le culte du jeune empereur pour le dieu soleil semble prendre toute la place, il ne vit que de débauche, de manigances et veut que son image soit magnifiée. 

Dans ce très court récit, Guillaume Lebrun fait de l'empereur une figure de la métamorphose, de la transidentité, il met en avant la débauche qui l'enivre. Il magnifie à sa manière la légende noire qui entoure Heliogabale selon les livres d'histoire. Toujours dans un style des plus singuliers, il écrit à sa façon les personnages, qui sont aussi mystérieux que malsains. Même si la folie se dégage totalement de ce roman, on ne peut pas retirer à Guillaume Lebrun une totale prise de liberté avec ce récit. 

Critique rédigée par Mathilde Jarrossay

"Ravagés de splendeur", Guillaume Lebrun, Editions Belfond, 162 pages, 17 €

La Realidad, Neige Sinno

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La Realidad, c’est un petit village au Mexique que Neige Sinno a tenté d’atteindre il y a plus de vingt ans avec son ami Maga pour apporter au sous-commandant Marcos des livres. Mais c’est aussi la réalité, celle qu’affronte Neige Sinno deux décennies plus tard alors qu’elle vit désormais au Mexique.

Dans ce livre écrit en espagnol et traduit par l’autrice elle-même, celle qui a été remarquée pour son récit Triste tigre parle de voyages à dos d’âne mais aussi de littérature, à travers l’étude de deux écrivains-voyageurs qui l’ont précédé au Mexique, Antonin Artaud et JMG Le Clézio. Elle réfléchit à ce que l’apprentissage d’une nouvelle langue et l’assimilation d’une culture font à l’identité. Elle s’interroge sur la force du langage qui enferme, sur la vision d’une étrangère - et d’autant plus d’une Européenne issue d’une culture colonisatrice - dans un pays qu’elle découvre et apprend. Et elle le fait toujours avec cette plume littéraire et riche qui nous enseigne et nous transporte.

C’est également le sujet des luttes que l’autrice développe dans ce nouveau livre : celle qu’elle partage avec les communautés zapatistes dans lesquelles elle est invitée à plusieurs reprises, faisant le lien avec la jeune femme qu’elle était. Et toujours la lutte féministe qui fait le lien avec Triste tigre et l’éclaire d’une autre lumière.

Critique rédigée par Mathilde Ciulla

"La Realidad", Neige Sinno, Editions P.O.L, 272 pages, 20 €

J'emporterai le feu, Leïla Slimani

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Avec La guerre, la guerre, la guerre, premier tome de la trilogie Le Pays des autres, et le second tome Regardez-nous danser, Leïla Slimani plongeait les lecteurs aux côtés d’Amine, de Mathilde, d’Aïcha, de Selma, d’Omar et de Mourad, au sein du Maroc des années 60 et 70. Dans ce dernier volume, l’autrice achève sa fresque familiale et se penche sur la génération suivante, celle de Mia et Inès, les filles d’Aïcha et Mehdi, nées dans les années 70.

Avec ce troisième opus, Leïla Slimani achève sa trilogie inspirée de sa propre histoire familiale, entre la France et le Maroc. Grâce à une construction narrative subtile et une écriture vive, fluide et maîtrisée, l’autrice parvient à faire revivre, sur trois générations, le sentiment d’exil tout en retraçant le long chemin vers l’émancipation. Entre questionnement sur l’identité, relations familiales, déracinement, droits des femmes et quête de liberté, cette saga familiale dépasse le cadre de l'autobiographie et s’impose comme une véritable œuvre romanesque. 

Un dernier volet qui clôt avec brio cette trilogie marocaine !

Critique rédigée par Marie Heckenbenner

"J'emporterai le feu, Le pays des autres, Tome 3", Leïla Slimani, Editions Gallimard, 432 pages, 22,90 €

Permission, Saskia Vogel

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Après la mort de son père, la jeune Echo retourne vivre dans la maison familiale. Alors qu'elle vivait à Los Angeles où la jeune femme avait du mal à trouver sa place, dans cette ville de débauche, d'excès, Echo vivait de tournages pour des pubs, rêvant d'une carrière d'actrice. Elle rencontre alors Orly et Lonnie, l'homme avec lequel elle vit, se noue entre eux une relation amoureuse basée sur le sexe, les pratiques sexuelles extrêmes et les fantasmes. Dans cette relation, Echo va autant se retrouver que pouvoir se libérer de ses fantômes. 

Dans ce premier roman, Saskia Vogel libère la parole autour des pratiques BDSM. Parfois très cru et graphique, ce roman laisse aussi la place à la poésie des relations. On suit la jeune femme dans sa propre réalisation, elle se laisse aller à des pratiques qu'elle n'avait oser imaginer pour se sortir de son marasme quotidien. C'est à la fois un récit sur la recherche de plaisir que sur la quête d'identité.

Critique rédigée par Mathilde Jarrossay

"Permission", Saskia Vogel, traduit de l'anglais par Valérie Le Plouhinec, Editions La Croisée, 224 pages, 21,10 €

Le grand tout, Olivier Mak-Bouchard

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C’est à San Francisco que nous transporte Olivier Mak-Bouchard dans ce quatrième roman. Mais toujours auprès de personnages qui sortent de l’ordinaire et qui sont extrêmement attachants. Nous suivons donc un vieux Français reconverti bibliothécaire à l’université de Berkeley pour combler une retraite partie en fumée avec la crise économique, accompagné de son chat aveugle - l’auteur ne manque jamais de nous fournir un compagnon à moustache original ! Il accueille une nouvelle colocataire, June, jeune femme qui souhaite lancer son application autour de l’interprétation des rêves et qui vient d’hériter d’un mystérieux sabre japonais sur lequel les colocataires vont enquêter.

L’univers toujours coloré et chaud de l’auteur du Dit du mistral nous transporte dans un American dream quelque peu écorné par le passage de crises économiques et des confinements de l’année 2020, où l’idéal hippie de la jeunesse du narrateur s’est écroulé et a fait place à l’innovante Silicon Valley et aux conséquences sociales qu’elle a entrainé. Et toujours avec un style fluide et une douceur qui permettent à Olivier Mak-Bouchard de nous ravir.

Le récit d’une amitié spéciale, d’une quête légendaire et d’un héritage laissé à San Francisco aussi bien par Jack London que par Michel Foucault, personnages secondaires réincarnés et haut en couleurs !

Critique rédigée par Mathilde Ciulla

"Le grand tout", Olivier Mak-Bouchard, Editions Le Tripode, 256 pages, 20 €

La mère des palmiers, Nasim Marashi

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Plusieurs années après la fin du conflit entre l’Iran et l’Irak, Rassoul décide d’entreprendre un voyage aux côtés de son fils, Mahziar. Bien décidé à retrouver sa femme disparue, Naval, il se dirige vers un lieu déserté, et désormais habité par des femmes et uniquement accessible par une barque. Un périple qui le plonge dans ses pensées, et qui au fil de ses souvenirs, reviendra vers les raisons qui ont poussé sa femme à qutiter mari et enfants. 

Après l’Automne est la dernière saison, Nasim Marashi poursuit son exploration des liens familiaux, en abordant les thèmes de la paternité, du deuil et de la transmission. Avec une écriture délicate, elle donne voix à l’intime au cœur d’un Iran marqué par l’après-guerre. Construit tel un récit fragmenté, à la manière d’un puzzle, le roman recompose peu à peu les événements qui ont mené à la douleur, à la perte et à l’impossibilité de se reconstruire. 

Un beau roman qui explore avec finesse les questions de l’existence après la guerre, de la survie, mais aussi du poids des choix et de leurs conséquences.

Critique rédigée par Marie Heckenbenner

"La Mère des palmiers", Nasim Marashi, traduit du persan par Julie Duvigneau, Editions Zulma, 288 pages, 22 €

Nos insomnies, Clothilde Salelles

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La narratrice est une petite fille qui vit avec sa famille dans une banlieue pavillonnaire d'Essonne. En apparence banale, lorsque les volets sont fermés, la famille entière fait face à des insomnies, un non-dit qui semble hanter toutes les personnes de la famille. Alors que chacun semble vivre sa vie, les adultes comme les enfants, un drame va changer les relations de cette cellule familiale. 

Clothilde Salleles nous plonge dans le quoditien d'une famille qui semble la plus normale et dont le modèle ressemble à la société moderne en tout point. Cependant, ce qu'elle écrit ce sont les réalités qu'on cache aux enfants, les mots qu'on ne leur dit pas en pensant qu'ils ne comprendront pas que quelque chose se trame. On suit la jeune narratrice avec ses amies, avec son père, dans ses journées d'école. Ce que raconte aussi ce roman ce sont les histoires des adultes vues par des enfants.

Un très bon roman familal à huis-clos. 

Critique rédigée par Mathilde Jarrossay

"Nos Insomnies", Clothilde Salelles, Editions Gallimard, 256 pages, 20,50 €




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