Premier roman totalement hybride, Guillaume Lebrun réécrit le mythe de Je(h)anne d'Arc en empruntant à la fois les codes de l'épopée, ceux des romans de fantaisies ou encore du roman historique.
Au début du XVème siècle, le royaume de France est dans l'impasse. Les Bourguignons et les Anglais (Englishes comme écrit l'auteur) se disputent le territoire et le trône. Face à cette situation, on attend celle qui saura délivrer le pays, qui placera sur le trône Charles Ponthieu, le dauphin. Elle sera aussi forte d'esprit qu'habile avec les armes et sa langue. C'est elle qu'on appellera Jeanne d'Arc.
Partant du postulat que Jeanne d'Arc n'a jamais été une envoyée divine mais formée par Yolande d'Aragon, Guillaume Lebrun nous compte dans une langue fantasque et drôle, l'histoire de la formation des Jehanne et de l'avènement de Jeanne d'Arc.
Une légende revisitée
Et si Jeanne d'Arc n'était qu'une guerrière formée comme tant de chevaliers ? Poussée par un rêve divin, Yolande d'Aragon, à la mort de son mari et après son désaveu de la cour, se met en tête d'éduquer celle qui deviendra Jeanne d'Arc, qui libèrera la France du bout de son épée. Pour ça, elle est guidée dans sa mission par un Maître, qui lui donne des énigmes comme dans les romans de fantasy : cette Jeanne devra se rendre au Nœud. Ça, c'est la mission. Mais la réalisation est autre. Accompagnée par des chevaliers, elle monte une école où 15 jeunes Jehanne se retrouvent en compétition pour savoir qui sera "l'élue".
Ci-joint un extrait du programme de ces jeunes filles : "Lundi : 8h à 10 h Apprentissage de la lecture par le biais de textes d'autrices de grande valeur antimâle (Marie de France, Christine de Pisan etc.) 10h à 12h30 : L'invisibilisation des Femmes Puissantes dans l'Histoire par la diablerie des Hommes. Jeudi : 15h à 16h : Comment éviter le bûcher ? Méthode Guillemette Latubée Vendredi : 11h à 12h30 : Joutes amicales. Méthode Mathilde de Canossa."
Résolument féministe, drôle et fantasque, Guillaume Lebrun use d'une langue acérée, il juge les traditions du XVème siècle, la royauté et la religion mais toujours avec humour et un côté décalé. On trouve dans ces pages un mélange d'anglais, de français, d'une langue complétement inventée où surgit tout à coup le nom de Rachida Dati. Vous trouverez dans ces pages un chant censé être d'époque qui n'est autre qu'une chanson de Céline Dion. Et si Jeanne d'Arc n'était qu'une jeune fille formée aux armes et à la pensée ? C'est la question que pose ce roman.
"Ce n'est pas bien difficile : depuis toutes petites, on nous a expliqué qu'il fallait prier, se marier, pondre nombre children, sourire à s'en sécher les dents, éventuellement crever dans d'atroces douleurs gynécobstrétiques afin que nostre husband puisse se remarier avec sa nièce de douze ans."
L'art de la guerre
Si Guillaume Lebrun revisite un mythe, il revisite aussi l’art de l’épopée et de la guerre. Ce roman est à la fois un conte sur Jehanne d’Arc mais aussi un enseignement pour les jeunes filles à se battre. C’est aussi une bataille du langage qu’on trouve dans ce roman singulier. Ce mélange entre l’anglais, le français et une langue imaginaire nous donne l’impression de perdre parfois le fil mais aussi d’être une farce littéraire. Tout tourne autour de ce combat vers lequel tend la fin de l’entraînement de Jehanne, c’est-à-dire la libération d’Orleans.
« Je retournai contempler les morts dont j'étais responsable. Je me dis qu'il était fort triste que les chevaliers se fussent trouvés dans l'autre vie avant que d'avoir pu constater ce dont j'étais vraiment capable. Ils auraient été bien fiérots de cet accomplissement. »
Les scènes de combat, autant celle des Jehanne que celle de la libération d’Orleans, prennent les codes des combats épiques. On retrouve à nouveaux des emprunts à des romans de la culture populaire. Le côté épopée du roman vient compléter celui fantastique.
Ce premier roman de Guillaume Lebrun est un hybride. A la fois drôle et loufoque, le parti pris de l’auteur de réinventer le mythe de Jeanne d’Arc est audacieux et marche à merveille. Un bon hommage à la fantaisie.
"Fantaisies guérillères", Guillaume Lebrun, Christian Bourgois Editeur, 320 pages, 20,50€