Pour la huitième année consécutive, tout l’été, et chaque semaine, Untitled Magazine vous propose trois livres à lire. Que vous soyez dans votre maison de campagne, au bord de la plage, entre amis ou encore au travail, vous devriez trouver votre bonheur.
L’amour sans larmes, Molly Keane
Une histoire de famille, sur une île irlandaise battue par les vents, dans une demeure magnifique, c'est le scénario simple de ce roman. Angel, mère de cette famille, vit en maitresse dans sa demeure et de sa famille, elle alimente les critiques et les relations amoureuses de ses enfants. Le point de départ est le retour du fils prodigue, Julian, mais quelle n'est pas sa suprise lorsqu'il débarque accompagnée d'une fiancée ...
Dans ce roman, les personnages et leur histoire se succèdent pour former une fresque d'une société qui pourrait nous paraître désuette. Il y a Angel, la mère et cet homme Oliver remené d'Autriche, qui joue les majordomes, Slaney la fille, jeune, sensible et jolie qui ne rêve que de vivre de son amour pour cet ami d'enfance, puis comme toujours dans les romans de Molly Keane, il y a le regard acerbe des domestiques sur la famille - ici c'est la nourrice Birdie qui officie ce rôle.
Les pages se succèdent où l'on assiste à des retrouvailles émouvantes puis à des machinations pour séparer les personnages, dans des dialogues précis et toujours chargés de rancoeur. Une fresque familiale piquante et réjouissante.
Critique rédigée par Mathilde Jarrossay
Lemon, Kwon Yeo-Sun
Roman polyphonique, Lemon est le récit sur deux décennies de l’assassinat d’une lycéenne, Hae-eon, mais surtout de l’effet de sa mort sur plusieurs personnages, au premier chef desquels sa petite soeur, Dae-eon, qui n’a de cesse de chercher à savoir qui a bien pu tuer sa soeur. Ces récits sont fragmentaires, on ne découvre que des petites parties des vies des différents personnages, tout comme Da-eon qui ne semble pas pouvoir obtenir la vérité toute entière sur cette histoire qui a marqué sa vie au fer rouge.
Les huit chapitres chronologiques qui composent ce roman donnent à voir le point de vue d’un personnage différent : celui du jeune homme qui semble être le dernier à avoir vu Hae-eon vivante et qui a un temps été accusé du meurtre, celui de Da-eon et de sa mère qui ont tenté de se reconstruire après la mort de la lycéenne,... C’est également la société coréenne et ses codes qui sont donnés à voir à travers ces récits, une société aux normes bien éloignées des nôtres, ce qui participe à l’impression de décalage qu’on peut ressentir à la lecture de ce livre.
Si, d’une certaine manière, on reste sur notre faim une fois le roman terminé, c’est bien parce que rien n’est achevé, que l’autrice présente des points de vue, des perceptions qui se complètent mais ne forment jamais un tissu de vérité. Et en cela, c’est un véritable tour de force qui fait de Lemon un livre inqualifiable, une réflexion sur la mise en récit, sur ce que les personnages disent d’eux-mêmes et sur le temps qui passe et ne guérit pas.
Critique rédigée par Mathilde Ciulla
"Lemon", Kwon Yeo-Sun, traduit par Kevin Jasmin Hamard, Editions 10/18, 168 pages, 7,50€
Sans preuve & sans aveu, Philippe Jaenada
Alain Laprie, 66 ans, un ancien entrepreneur bordelais est incarcéré au centre de détention de Mauzac, en Dordogne et y purge une peine de quinze ans. Il est accusé du meutre de sa tante de 88 ans, retrouvée morte en 2004 avec une plaie à la tête, dans sa maison, à demi incendiée. Mais depuis 18 ans, ce dernier crie son innocence. D’abord acquitté en première instance en 2018, il est condamné en seconde instance en 2020. Quelques jours avant son incarcération, il est venu trouver Philippe Jaenada pour lui raconter son histoire, et son accusation qu’il juge injuste et infondée.
Après la Petite Femme, la Serpe ou encore le Printemps des Monstres, l’écrivain décortique à nouveau une affaire judiciaire. Avec brio, il plonge dans cette affaire, traite le dossier, détaille, raconte, analyse, dénonce et argumente. Il revient sur l’assassinat, raconte l’héritage, l’argent mal géré et la famille qui se déchire. Il décrit les gardes à vues, les incarcérations, l'acquittement puis la dernière condamnation, le coup fatal pour un homme qu’il estime innocent. Sous forme de contre-enquête, l’auteur tente de prouver l’erreur judiciaire, facilitée par un système à bout de souffle et par des gendarmes et des juges sûrs de leurs opinions.
En prenant l’affaire Alain Laprie comme exemple, Philippe Jaenada signe un réquisitoire sur les dysfonctionnements d’un système policier et judiciaire qui, par manque de moyens, s’effondre sous nos yeux.
Critique rédigée par Marie Heckenbenner
"Sans preuve & sans aveu", Philippe Jaenada, Editions Points, 240 pages, 8,40€
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