Avec Quatre-vingt-dix secondes, Daniel Picouly s’évade en Martinique, pays de son père, et nous raconte la terrible éruption de la montagne Pelée à Saint Pierre, en 1902 qui a coûté la mort à 30 000 hommes.
Quatre-vingt-dix secondes, voilà le temps qu’il a fallu à la Montagne Pelée pour tuer 30 000 personnes à Saint-Pierre de la Martinique, le 8 mai 1902. C’est l’une des plus grandes éruptions volcaniques de l’histoire. « J’aime me faire peur. Heureusement, l’orgueil des hommes est là pour me rassurer. Si la ville de Saint-Pierre avait été construite plus modestement à l’endroit du Carbet, je n’aurais aucune chance de la détruire ».
A partir de cette catastrophe historique, Daniel Picouly imagine un roman incroyable. Celui-ci début le 8 mai 1902 à 5h du matin et se termine, moins de trois heures plus tard, à 7h52. Dans ce cours laps de temps, l’auteur a choisi de faire parler son personnage principal, la montagne Pelée. C’est elle le héros de son livre. Durant trois heures, avant la fin de la grande catastrophe, elle va s’immiscer dans la vie de plusieurs habitants et les suivre pas à pas. Ici, c’est la montagne qui parle, qui monologue voyant les humains vaquer à leurs occupations.
La montagne gronde
Ici, plusieurs personnages sont mis en scène : un journaliste qui tente de comprendre, un gouverneur qui a pour consigne de ne pas affoler la population, un couple d’amoureux faisant face à la mère de l’une et au prétendant de l’autre… Tout au long du récit, la montagne va douter, hésiter, se justifier et s’étonner lorsque les habitants ne réagissent pas devant ses avertissements. « Le diable a bu du rhum. On a souillé les églises, déterré les cadavres. Saint-Pierre doit se repentir. Tandis que je crache de la boue et du feu, que je ravage les champs, les bêtes et les hommes, ils battent des mains comme des enfants à Carnaval ».
Depuis trois semaines, elle s’éveille, réagit, informe les habitants. Les cendres envahissent la ville, les animaux disparaissent, mais personne ne bouge. « Fuyez ! Je suis la montagne Pelée, dans trois heures, je vais raser la ville. Trente mille morts en quatre-vingt-dix secondes ». En même temps, à Saint-Pierre, c’est le moment des élections. Et il est hors de question pour la Métropole, de prendre le risque que le vote noir l’emporte sur le vote blanc, car en cas d’évacuation seuls les Noirs seraient présents.
Un catastrophe sans nom
Mais, c’est la montagne Pelée qui a le dernier mot. « 7h52. Je n’ai pas pu me retenir. J’aurais aimé résister, faire rempart. Tenir jusqu’à 8 heures. C’était mon ambition. J’avais besoin d’une heure pile. Franche. Propre à rester gravée dans les mémoires ». Tout est terminé, elle avait prévenu. En moins de quatre-vingt-dix secondes, Saint-Pierre sera enseveli et perdra 30 000 hommes.
A travers cette tragédie, Daniel Picouly insère en arrière-plan l’histoire coloniale de la Martinique. A l’époque, le pouvoir était toujours aux mains des Blancs, les Noirs continuaient de trimer pour un salaire de misère, mais n’étaient plus sous le joug de l’esclavage. L’auteur, ici, décrit parfaitement la société martiniquaise et nous transporte de façon très originale, en plein coeur de cette catastrophe naturelle.
« Quatre-vingt-dix secondes », Daniel Picouly, Editions Albin Michel, 272 pages, 19,50 euros