UNTITLED MAGAZINE
Avec Retrouver Fiona, Dalie Farah explore l’enfance violentée à travers un fait-divers qui frôle l'intimité. Une quête émouvante sur sa propre enfance qui pose question sur la violence, sa reproduction, la maternité et ses liens.
Derrière l’infanticide, la violence
A l’été 2013, la France découvre à la télé Cécile Bourgeon, mère éplorée face aux caméras à la recherche de sa fille Fiona, 5 ans, disparue dans un parc de Clermont-Ferrand. Rapidement, la ville organise une marche de soutien pour retrouver Fiona, qui on l’espère n’est pas encore morte. Quatre mois plus tard, Cécile Bourgeon avoue que la petite fille est enterrée près d’un lac, morte sous les coups de son compagnon. La vérité éclate enfin : la mère et le beau-père sont responsables du décès et du recel de cadavre. Toxico, mère-fille, Cécile a un problème : elle fait des enfants comme on enfile des perles. Après le soutien de toute une société, c’est l’indignation qui fait rage. Comment ont-ils pu laisser une gamine morte et l'enterrer dans un parc ? Comment une mère peut-elle oublier où est le corps de sa propre fille ? Comment peut-elle tuer son propre enfant ?
“La petite fille aurait absorbé du Subutex, c’est le nom d’un substitut à l'héroïne. Il n’y a jamais eu de parc, ni de 25, ni de 26 hectares, pas de sommeil, pas d’enfant disparue, pas de témoin, pas d’attente de retrouver son enfant, pas de promenade au marché le 12 mai au matin, pas de sieste l’après-midi, ni de balade familiale au parc Montjuzet ; un enfant en moins dans le ventre, un autre dans la tête, la mère a parlé”. Clermontoise, Dalie Farah a suivi l’enquête pendant plus de neuf ans. Elle retrace le quotidien de Cécile Bourgeon et de son compagnon Berkane Makhlouf avant le meurtre de Fiona : leur vie, leur toxicomanie, leur parcours mais surtout leur enfance. Recherches, enquêtes, procès… elle observe et décrypte. Chaque détail a son importance.
Après dix ans, quatre procès, d’appel en pourvoi, de renvoi, l’affaire vacille dans les couleurs de la justice. Elle se noie face aux différents aveux, troubles et imprécis, d’une mère et d’un beau-père violent. Des procès qui se heurtent surtout, tour à tour et de plein fouet, à la difficulté de juger sans avoir retrouver le corps. “La vulnérabilité attire la violence non pas des forts, mais des impuissants, de ceux qui ont besoin d’une victime pour s’exercer à la domination”.
Toucher l’intime
Pour Dalie Farah, Retrouver Fiona devient la symbolique d’une quête personnelle. Au fil de son enquête, elle creuse sa mémoire embrumée, fait resurgir ses souvenirs de petite fille et creuse les sillons vers son inconscient traumatique. Et c’est vers sa propre histoire que l’autrice se tournera, en révélant ses secrets enfouis. L’histoire d’une enfant battue et celle d’une mère qui ne veut surtout pas reproduire le modèle parental. “Comment fonctionne ma mémoire. La violence défait-elle la possibilité du récit au lieu de la déployer ? D’après les calendriers de 1979 et 1983, cinq placements sur six ont lieu pendant les vacances scolaires et souvent les dépassent un peu. Donc, pas de signalements sociaux, juste des arrangements pour aider une famille pauvre qui ne savait pas où mettre ses gosses.”
En s’identifiant à Fiona, Dalie Farah interroge : qu’est ce que l’amour maternel ? Qu’est ce qu’une enfance privée d’amour ? En questionnant au fil des pages le lecteur, l’autrice signe un émouvant roman-enquête dans lequel elle offre un “tombeau poétique” à Fiona dont on n'a jamais retrouvé le corps.
"Retrouver Fiona", Dalie Farah, Editions Grasset, 288 pages, 20,90 €
