Maylis de Kerangal nous offre un aller-retour entre la vie et la mort, en plein cœur d’un hôpital. Chronique d’une greffe de cœur, entre deuil et espoir.
Le cœur à l’ouvrage
9h20, le Samu est sur place. Les choses s’accélèrent. Le diagnostic sera bientôt donné, et les parents attendus. Simon est dans une salle de réanimation. Maylis de Kerangal et son écriture, nous transportent dans un autre univers, et s’installent, ici, dans un hôpital. Cet hôpital, avec son « sol de patinoire, et ses portes qui battent plusieurs fois dans le vide après chaque passage ». Un clin d’œil à ce cœur, qui bat, et qui ne s’arrête pas.
Entre deux chapitres, la romancière nous laisse pénétrer dans le quotidien de ces personnages. Il y a Cordélia, vingt-cinq ans, qui sera rivée sur son téléphone : son amant ? va-t-il rappeler ? Et, c’est à ça qu’elle pense lorsqu’elle change la perfusion de Simon, et qu’elle rencontre Marianne, la mère du jeune garçon. Mais notre héros est mort, et les vivants errent, sans presque aucune émotion. « Sa peau est chaude encore et c'est bien son odeur ». Mais si, selon les critères médicaux, ceux de l’électroencéphalogramme, Simon est bien mort. Et son cœur, aidé par une machine, continue de battre. Le roman est rythmé par les pulsations cardiaques. Les personnages vont et viennent. Leurs corps se touchent, s’enlacent, se bousculent. Ils sont la raison vivante, la preuve de leur existence, et le principe même de leurs émotions.
Epargner ceux qui restent
Mais le livre s’accélère. La procédure s’enclenche. Infirmier, préleveur d’organes, médecin, se relaient auprès de Simon, des parents. Son cœur, ses poumons, son foie, ses reins, sa cornée, accepteront-ils , malgré la douleur, le prélèvement des organes ? L’écriture est précise, rapide, concentrée sur les faits, ne laissant aucune place à l’émotion. La romancière se garde de donner des réponses à nos questions, elle ne fait que les soulever. L’homme n’est pas qu’un corps, qu’un esprit, mais il est âme avant tout.
Et le feu vert est donné. Paris, Strasbourg, Rouen, Lyon, les chirurgiens sautent dans un avion. Direction Le Havre, pour recueillir les organes de Simon. Les phrases, retardant toujours la mort finale, nous entraînent dans un tourbillon. Les mots se suivent, s’enchaînent, de façon énergique et répétés. Ils nous tiennent en haleine, jusqu’à la fin. Cette fin qui prendra la forme d’un final de ballet. Un final, dans la nuit, quand l’heure sera venue de restaurer le corps. De lui dire une dernière fois, au revoir. Toujours accompagné d’un chant puissant, comme une action de grâce.
Maylis de Kerangal, "réparer les vivants", Edition Folio, 304 pages, 7,70 euros