En janvier 1993, une petite ville du pays de Gex, à la frontière avec la Suisse, se réveille avec l’horreur de la nouvelle d’un incendie, qui tue Florence Romand et ses deux enfants. Son mari survit, il est dans le coma. On découvre rapidement que les victimes étaient déjà mortes avant l’incendie et tout indique que c’est Jean-Claude Romand qui en est responsable. C’est un homme respecté et apprécié, médecin renommé de l’OMS. Sauf que personne ne le connaît à l’OMS. Le masque tombe assez rapidement : Romand n’a jamais obtenu son diplôme de médecine et ment à son entourage depuis 18 ans. Chaque jour, au lieu de se rendre au travail à Genève, il passe son temps dans sa voiture à lire sur des aires d’autoroute ou à se promener dans la forêt. Ne pouvant se résoudre à décevoir sa famille, il tue femme, enfants et parents, et échoue ensuite à se suicider.
Emmanuel Carrère s’intéresse à son histoire et engage avec lui une correspondance épistolaire alors qu’il est déjà en détention, correspondance qui est à l’origine de son livre L’Adversaire, publié quelques années après sa condamnation. Il suit l’accusé durant tout son procès, auquel il assistera même en tant que journaliste. Le lecteur est ainsi entraîné dans le récit de toute la vie de ce mythomane, qui pendant 18 ans, a mené une double vie sans que personne ne le soupçonne. On assiste à l’étalage de la souffrance de cet homme qui a assassiné froidement toute sa famille, et on se retrouve même à lui chercher des justifications à travers une quelconque maladie mentale. En effet, le sentiment de compassion pour ce meurtrier qu’on sent s’élever en nous dérange notre conscience, provoque une forme de culpabilité.
L’entreprise de rédaction d’Emmanuel Carrère est originale : il nous propose un journal de bord écrit à la première personne, où il partage ses sentiments face au procès, son intention de ne pas juger Romand, mais plutôt de tenter de comprendre et d’expliquer son geste fou. Il se place en effet à contre-courant de l’opinion générale qui considère le faux médecin comme le diable en personne. C’est de là que découle le titre du livre, L’Adversaire, qui est utilisé pour qualifier Satan dans la Bible.
Une prose honnête, fluide et dérangeante, qui nous plonge au cœur de ce fait divers extraordinaire et nous force à nous interroger sur notre positionnement à propos du livre : écrire sur le cas Romand à partir de son témoignage, de ses lettres, n’est-ce pas déjà un peu le justifier ?
"L'Adversaire", Emmanuel Carrère, Gallimard, 219 pages, 6.50€