logo UNTITLED MAGAZINE
Le webzine des plaisirs culturels
Rechercher
Instagram Facebook Twitter

[Retour sur] : "Chez les heureux du monde", un livre d'Edith Wharton

1 février 2022, par Untitled Magazine

Grand classique de la littérature américaine du tournant du siècle qui a eu un succès retentissant lors de sa parution à New York en 1905, Chez les heureux du monde est un roman d'une modernité époustouflante. À la manière d'un Orgueil et Préjugé de Jane Austen qui serait situé 100 ans plus tard et à New York, Edith Wharton dépeint avec lucidité, courage et délicatesse le destin de Lily, une jeune femme qui doit se marier pour assurer son futur.

A vingt-neuf ans et encore sous la tutelle de sa tante, Lily Bart cherche à se marier. Si elle a depuis longtemps renoncé à ses rêves de trouver un Lord anglais ou un prince italien avec un château dans les Apennins, Lily a conscience que trouver un mari riche est sa seule façon d’être admise dans la haute société new-yorkaise du tournant du siècle. Dans ce monde de luxe ostentatoire et d’oisiveté où l'on s'invite non pas seulement à diner, mais pour "l'automne", Lily court les salons et les maisons secondaires de ses amis en quête d’un futur. Où qu’elle aille, sa beauté et son charme font fureur. Mais comment trouver un mari quand tous les hommes qu’elle croise semblent gras, poussiéreux, transpirants et rosés ?

ll y en a bien un qui fait exception, c'est Lawrence Selden, un beau jeune homme cultivé qui fait tourner la tête de Lily. Malheureusement, tous les deux savent qu’une union est impossible car Selden est un avocat sans argent et Lily tient trop à son confort matériel pour y renoncer. De cela, Selden en a encore plus conscience que Lily. Alors, elle jette son dévolu sur d’autres hommes, riches et pas trop poussiéreux. Comme un mauvais alignement des étoiles, à moins que ce ne soient les manigances de ses prétendues amies,  tous les plans de Lily vont s’effondrer les uns après les autres. C’est sa réputation et sa place dans la société qui est en jeu. Arrivera-t-elle à s’assurer un futur confortable ? Trouvera-t-elle l’amour ?

Une réflexion sur le rapport des femmes à l’argent

La force de ce roman, c'est la lucidité et la clairvoyance du regard que porte l'autrice Edith Wharton sur la condition des femmes dans la haute société new-yorkaise des années 1900. Dès le premier chapitre, Lily explique que ces vêtements et bijoux qu’elle aime tellement sont aussi des chaînes à ses poignets. La société dans laquelle elle évolue la tient captive par ses règles et conventions, notamment ses codes vestimentaires. Lily est prise au piège, toujours forcée de dépenser de l’argent qu’elle n’a pas, sous peine d’être exclue de la société.

« Votre jaquette est un peu râpée… mais qui donc y prend garde ? Cela n’empêche pas les gens de vous inviter à diner. Si, moi, j’avais une robe fanée, personne ne me voudrait : une femme est invitée autant pour sa toilette que pour elle-même. (…) Qui voudrait d’une femme pas élégante ? On attend de nous que nous soyons jolies et bien habillées jusqu’à la fin. »

Lily est tiraillée entre, d’une part, le plaisir de se sentir belle et de susciter l’admiration où qu’elle aille, et d’autre part, l’envie de fuir une société aux règles toxiques, qui la force à faire des choses qu’elle ne veut et ne peut pas faire. En un instant, elle se met à admirer des gens qui la répugnaient cinq minutes plus tôt, et vice versa. Elle a beau faire des plans et calculer ses coûts, Lily est une jeune femme prise dans les étaux d’une société pour le moins capricieuse.

Une société « plaquée or »

Ce qui fait la richesse du roman, outre la beauté et le courage du personnage de Lily, c’est la profusion des profils types qui s’opposent les uns aux autres. A la beauté et l’aspiration à la richesse de Lily s’oppose le personnage de Gerty, une jeune femme sans grâce, voire plutôt laide, qui vit dans un tout petit appartement mais est financièrement indépendante grâce à son travail. Il y a aussi Carry Fisher, une femme quasiment exclue de la société pour avoir déjà divorcé deux fois, dont l’enthousiasme et la liberté s’opposent aux plaintes et tromperies des femmes malheureuses en amour. Ainsi, c’est un joli petit monde que nous dépeint Wharton, tout doré en surface, mais plein de vices quand on gratte un peu.

Une des raisons pour lesquelles Wharton écrit si bien sur la haute société new-yorkaise du tournant du siècle, c’est qu’elle y a appartenu. Comme plusieurs de ses personnages, elle a connu l’exclusion de cette société, « l’épaule froide », comme le dit l’expression anglaise, à la suite de son divorce. Ainsi, elle connaît tous les rouages, les codes et règles de la société, elle sait qu’on peut être victime d’un système et s’en voir exclure du jour au lendemain sans autre raison que le murmure d’une rumeur.

Chez les heureux du monde est un chef-d’oeuvre de la littérature américaine. Grâce à son écriture à la fois osée et délicate, Wharton fait le portrait complexe d’une société qui semble à première vue avoir bel et bien disparu, mais qui s’avère en fait d’une actualité époustouflante aujourd’hui encore. 

"Chez les heureux du monde", Edith Wharton (traduit par Charles Du Bos), Editions Livre de poche, 448 pages, 8,40€




auteur
Le webzine des plaisirs culturels.


Retour

Articles similaires

"Une Valse pour les Grotesques", un livre de Guillaume Chamanadjian
Rentrée littéraire : "Le désastre de la maison des notables" de Amira Ghenim
Rentrée littéraire : "Bien-Être" de Nathan Hill
Rentrée littéraire : "Houris" de Kamel Daoud
Rentrée littéraire : "Pages volées" d'Alexandra Koszelyk
Rentrée littéraire : "Aux ventres des femmes" d'Huriya
Rentrée littéraire : "Au soir d'Alexandrie" de Alaa El Aswany
Rentrée littéraire : "Tout brûler" de Lucile de Pesloüan
Inscrivez-vous à notre newsletter :
Site réalisé par
Ciel Bleu Ciel