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Rentrée littéraire : "Vivance" de David Lopez

7 septembre 2022, par Mathilde Ciulla

Aux côtés d'un narrateur en fuite, David Lopez nous fait parcourir les routes de France, effort physique et rencontres absurdes qui disent la perte de sens et la poursuite du passé.

Dans son deuxième roman, l'auteur de Fief nous présente un narrateur dont on ne sait au départ que peu de choses, à part qu'il est un homme loin de chez lui. Le premier chapitre contient déjà beaucoup : d'une rencontre entre le narrateur et Noël découlera la suite du livre. "Assis tout contre la table, les bras croisés sous le menton, il lève vers moi un regard implorant. Ma main posée sur son épaule peut sentir comme il tremble. Tu as raison Noël, je lui dis, c'est peut-être pas un hasard si je suis là aujourd'hui. Peut-être bien que je peux faire quelque chose pour toi." Mais quelle suite nous réserve l'auteur ? C'est au cœur d'un enchevêtrement de récits de son passé récent et d'un présent dont on ne comprend pas encore bien la portée que David Lopez souhaite nous le faire découvrir.

Cassius, Denis et les autres

Après cette première incursion dans ce qu'on pense être le présent, David Lopez remet le narrateur dans ce qui semble être son environnement. Ou plutôt, le narrateur et son "je" nous y plongent eux-mêmes : maison de banlieue plutôt paumée, son chat Cassius pour seule compagnie depuis que sa copine Renata l'a quitté, et des activités aussi concrètes que de ramasser les feuilles mortes à la main ou que de repeindre les murs de sa maison en blanc comme seules occupations. Les phrases longues au style oral auxquelles nous avait habitué.es David Lopez ont à nouveau ici toute leur place et, entremêlées à des phrases courtes sans verbe, donnent tout son rythme et toute sa poésie au récit - qui est plutôt banal, c'est le moins qu'on puisse dire. Jusqu'à ce qu'un événement ne vienne perturber cette routine dans laquelle le narrateur s'est perdu, pas même perturbée par les visites de Denis, voisin lointain qui vient lui faire la conversation, lui et son utilisation absurde des mots : des inondations monstres.

"Jamais je n'avais entendu parler de l'eau en ces termes. L'eau n'avait jamais été autre chose que celle que l'on met en bouteille, celle qu'on se passe à table, celle dont on règle la température avant d'entrer dans la douche, celle dans laquelle on se baigne. Elle est bonne l'eau ?, un peu fraîche au début mais une fois que t'es dedans tu t'habitues. Cette fois j'ai entendu des phrases comme l'eau arrive, tu ne peux pas aller là-bas, il y a l'eau qui barre la route, l'eau est entrée dans la résidence, l'eau a empêché mon mari de garer la voiture dans la cour. Cette eau je ne la connaissais pas. Elle décide. Elle dispose. Emporte tout, et laisse sa trace."

Sa trace, elle la laisse de façon encore indéfinissable sur le narrateur qui chausse son vélo et pédale, pédale, pédale. On ne peut pas dire que cela vienne d'une réelle décision de sa part mais plutôt d'une évidence, d'une impulsion qui l'envoie toujours plus loin. Ne plus penser à travers l'effort physique ? Trouver qui l'on est en cherchant sa route ? Fuir la dépression en quête d'un ailleurs ? Pas la peine de demander au narrateur ses motivations pour une telle entreprise, il vous répondrait que vous faites fausse route. Et pourtant, ce pourrait bien être un mélange de toutes ces réflexions qui le guide. Tout plutôt que de rester immobile à repeindre une maison qu'il n'habite que corporellement.

Les roues sur "la sphalte"

Tout compte fait, noter homme y prend goût à ce grand voyage. Il s'équipe, comprend mieux son corps et son vélo et apprécie l'effort physique et les paysages qu'il voit défiler. Mais une chose ne change pas pour lui : avancer sans savoir la direction. Sur les cartes, il étudie les reliefs pour ménager son corps et arriver à destination. Mais quelle destination finalement ? Une destination qu'il n'a pas choisi car que regretter si on n'en est pas à l'origine ?

"C'est tout mon corps qui est absent, le sol se dérobe et j'en viens à douter d'être assis. Epuisé de sensations. Impressions seulement. Et si je n'avais toujours eu que ça, des impressions. La plus prégnante en ce moment est celle de la vitesse, moi immobile au milieu d'un décor qui file à toute allure, ou attaché à une roue qui tourne de plus en plus vite. Ca pourrait aussi être une chute."

Et sur les routes, le narrateur de David Lopez rencontre de nombreux personnages qui nous en apprennent, l'espace d'un bout de chemin ou d'un café partagés, beaucoup sur eux - ainsi que sur le narrateur ? Force est de constater que l'homme ne se dévoile que peu, et que les hommes rencontrés - oui, parce que les femmes semblent presque toujours rimer avec absence et passé dans ce roman - sur les routes peignent le portrait du narrateur en négatif : ce qu'il invente de lui-même dit peut-être ce qui ne veut pas dévoiler. "Quelque chose sent l'urgence ici. C'est compliqué de sortir d'où on a été laissé tomber. Ne reste qu'à y trouver sa place."

Dans un récit alternant flux de pensées et phrases courtes, où les espaces typographiques sont peu nombreux - les dialogues ne méritant pas de retour à la ligne et s'imbriquant parfaitement dans le reste du récit -, David Lopez nous présente un personnage dont on ne cerne pas toujours la personnalité et qui semble en proie à des questions existentielles, traitées par des tours et des détours - de pédale. Un deuxième roman qui confirme le talent de cet auteur à suivre.

"Vivance", David Lopez, Editions du Seuil, 288 pages, 19,50€

Découvrez d'autres livres de l'auteur :

     



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Rédactrice en chef Littérature


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