Choisissant la forme des vers libres, Lucile de Peslouan tape fort avec un roman percutant et difficile sur les violences sexuelles faites aux enfants, le silence qui les entoure et l’incapacité de la justice.
Victime d’inceste de la part de son père et de son frère, la narratrice du premier roman de Lucile de Pesloüan, Stella, raconte la violence, la peur, le silence et l’exclusion quand elle décide de parler enfin. Ecrit en vers libres, ce témoignage puissant des traumatismes dûs à l’inceste remue au plus profond de notre être.
Dénoncer l’inceste et le silence qui l’entoure
La forme de ce récit est assurément l’une des sources de sa force : chaque page est un coup de poing renouvelé, accompagné d’un titre en gras et de phrases puissantes qui s’étalent sur la page, prenant l’espace typographique qui leur permet d’exister. Les vers libres permettent à l’autrice de toucher juste, d’imposer un rythme à son récit tout en n’effaçant pas les silences qui entourent ces violences. Comme un rappel de l’espace dans lequel peuvent tomber les victimes, entre amnésie traumatique et solitude.
“la verité sur mon enfance
est confirmée
les hommes de ma famille
sont des prédateurs
je comprends enfin pourquoi pendant tant d’années
j’ai eu su peur de me faire manger
toute
crue.”
Stella est seule : elle est seule face aux agressions sexuelles de son père et de son frère alors qu’elle est enfant, elle est seule en grandissant face aux violences de ses parents qui cultivent le silence, et elle est seule quand elle se décide à parler et que sa famille lui tourne le dos et que certains de ses proches s’éloignent. Ce roman semble être le cri d’une femme qui n’en peut plus de garder en elle cette colère, qui doit se libérer de cette vérité et qui le fait en prenant la parole.
Protéger les enfants
Au nombre des sujets que l’autrice aborde dans ce roman sont les multiples conséquences sur la vie des victimes d’inceste : dépression, troubles alimentaires, pensées suicidaires, pressions familiales, isolement, mais également coûts financiers - elle chiffre à 20 000€ les dépenses qu’elle a dû effectuer pour survivre et se soigner. Elle raconte également les tentatives de reconstruction quand la piste judiciaire n’est plus apparue comme une option - les faits étant prescrits, l’affaire est classée sans suite - notamment grâce à des groupes de parole, où elle a pu échanger avec d’autres femmes. Et à la libération de la parole qui s’est mise en place dans son entourage à ce moment-là.
“j’ai l’impression qu’on se tient par la main
tel un réseau de résistantes
on avance en réfléchissant
on crie pour qu’on entende nos hurlements
PROTEGEZ LES ENFANTS.”
La lecture de ce premier roman donne bien envie de tout brûler : comment les adultes ont-ils bien pu tourner le dos, fermer les yeux face à ces violences et ne pas protéger les enfants ? Comment ont-ils pu laisser faire ? Et comme après le feu vient la renaissance, Lucile de Pesloüan nous parle également de la reconstruction qui suit, de la maternité et de l’amour fourni par un entourage choisi.
"Tout brûler", Lucile de Pesloüan, Editions La ville brûle, 144 pages, 15€