Inspiré d’une histoire vraie, Post frontière est un roman d’enquête sur la vie en Allemagne à l’époque du mur. Il est écrit par Maxime Gillio, habitué des polars et des romans jeunesse, qui manifeste une grande maîtrise de l’histoire et des débats sociaux et politico-économiques de l’époque.
Quand une journaliste de Berlin toque à sa porte, Inge, une femme célibataire dans la soixantaine, est d’abord très suspicieuse. La journaliste se présente : Patricia Sammer, sur le point d’écrire un livre sur les Allemands de Berlin-Est qui ont cherché à passer à Berlin-Ouest pour finir par retourner à Berlin-Est. Méfiante, Inge chasse Patricia de chez elle. Quelques semaines plus tard, quelle ne sera pas la surprise de Patricia de voir Inge débarquer dans son bureau, prête à lui donner rendez-vous chez elle. Dictaphone allumé, notes de recherches consciencieusement étalées sur la table de la cuisine, Patricia reçoit le témoignage d’Inge.
Avec courage, la femme à l’apparence fragile et délicate lui raconte les conditions dans lesquelles elle est née, le séjour en camp de concentration de sa mère, son adoption par une famille d’accueil sévère mais stable, ses premiers émois, ses impressions lors de la construction du mur, et ses tentatives de le franchir au péril de sa vie… C’est un récit émouvant et fort qu’elle construit au fil de ses rencontres avec Patricia. Pourtant, quelque chose cloche. Plus le témoignage progresse, plus l’état physique et psychique de Patricia se dégrade. Inge voit bien que quelque chose ne va pas. Que lui cache Patricia ? Pourquoi est-elle là quand, de toute évidence, il n’y a pas de livre prévu ?
Une réflexion socio-historique
Les conversations entre Patricia et Inge à propos de son aller-retour entre Berlin-Est et Berlin-Ouest sont l’occasion de se plonger dans les idées politiques, économiques et sociales de l’époque. La reconstruction des débats de l’époque est sans doute l’une des principales qualités du roman. Grâce à ses flashbacks, le roman de Maxime Gillio nous propulse dans les discussions entre Inge, qui a toujours habité à l’Est, et son fiancé, qui ne pense qu’à l’Ouest. La jeune fille alors âgée d’une vingtaine d’années lui demande : « Pourquoi est-ce que tu tiens tant que ça à passer à l’Ouest ? Pour choisir tes livres et tes concerts ? La belle affaire ! Tu as vu comment ils se comportent à l’Ouest ? Tes soi-disant pays de la liberté qui font la guerre au Vietnam, en Corée ou en Afrique ! »
À cette critique de l’imperfection des démocraties occidentales, le fiancé répond : « C’est sûr, le gouvernement américain est un ramassis d’ordures, mais au moins, on peut le crier et alerter l’opinion. »
L’Ouest semblerait être le royaume du dynamisme culturel et de la liberté d’expression. Il faut attendre une scène où la journaliste se rend à une soirée « nostalgie de Berlin-Est » pour comprendre l’attrait de la sphère opposée : « (…) il m’explique les regrets d’un pays où vivre ensemble voulait dire quelque chose, où les termes de solidarité et d’entraide n’étaient pas que des coquilles vides de sens, où chacun avait un emploi à vie, où les crèches et les hôpitaux étaient gratuits. »
C’est donc un débat qui semblerait opposer la liberté à la solidarité, l’ouverture sur le monde à l’entraide, le capitalisme à la sécurité apparente qui s’engage entre les personnages du roman. Ce débat très informé est enrichi par la divergence de points de vue qui s’étalent sur plusieurs décennies, ce qui permet une évolution des pensées des personnages.
Reconstruire le mur par le souvenir
Plus que la reconstruction des débats socio-politiques et économiques de l’époque, c’est une plongée dans l’esthétique du contraste entre Est et Ouest qui est proposée dans ce roman. Les impressions d’Inge dans un supermarché de l’Ouest sont assez touchantes : « Ce qui l’avait marquée, c’étaient les couleurs et les odeurs : agressives, éclatantes, artificielles. Oui, surtout ça, les odeurs : l’Ouest, ça sentait les arômes chimiques, les parfums de synthèse et, par dessus tout, le plastique, sous toutes ses formes… Elle avait été à la fois fascinée et écoeurée par cette débauche. »
Dans Post Frontière, Maxime Gillio jongle avec plusieurs récits étalés sur soixante-dix ans. Grâce à son agilité, il se met dans la peau d’une journaliste sans trop dévoiler de son enquête et de son passé, ce qui lui permet de construire un suspens considérable jusqu’à la fin du roman. Les flashbacks et scènes de réminiscence sont très habilement menées, ce qui est une vraie qualité. On regrette un petit décalage dans la construction des personnages : la troisième des protagonistes fait pâle figure à côté d’Inge et Patricia. Post Frontière est une belle lecture pour qui veut mieux comprendre l’impact de la construction du mur sur la société allemande des années soixante-dix à aujourd’hui.
"Post Frontière", Maxime Gillio, Talents Editions, 336 pages, 21,90€