Pour son sixième roman traduit en français par Adélaïde Pralon et publié chez Liana Levi, Seth Greenland nous offre une plongée dans le monde du cinéma new-yorkais de la fin des années 70. Il fait le portrait de jeunes scénaristes, actrices et producteurs inexpérimentés, passionnés et ambitieux, qui ont la conviction qu’honorer leurs rêves est un devoir.
New York, fin des années 70. Fraîchement diplômé de l’université de New York où il a étudié le cinéma, Pablo Swartzman, vingt-cinq ans, n’a qu’un seul rêve en tête : devenir un grand réalisateur. Après tout, François Truffaut a bien réalisé Les 400 coups à vingt-sept ans, alors pourquoi pas lui ? Mais le milieu est dur, et en attendant d’écrire un scénario révolutionnaire, Pablo écrit des critiques de films pour Glassy, une revue pornographique. Un jour, il tombe sur Jay Gladstone, un ancien camarade de colo. Par un heureux hasard, ce fils d’un magnat de l’immobilier richissime cherche justement à produire son premier film. Ensemble, ils vont se lancer dans la folle aventure du cinéma. New York est foisonnante, leurs amis sont des muses : l’avenir est radieux. Pourtant, dès qu’il s’agit de trouver de l’argent, les premières difficultés surgissent.
Une aventure fondatrice
La jeunesse et l’ambition des personnages pourraient faire penser à un roman d’apprentissage, mais c’est plutôt la grande maturité de Pablo et Jay qui se dégage du livre. Tous les deux affrontent un monde du cinéma méconnu avec beaucoup de bravoure et d’intelligence. Dès les débuts, Pablo sait qu’il doit adopter l’assurance d’un réalisateur primé (il n’est nul besoin de préciser qu’il s’agissait d’un prix étudiant pour un court-métrage). Il sait aussi comment convaincre une actrice de lui faire confiance en acceptant le rôle principal. Jay quand à lui navigue de soirées en salons privés pour convaincre des investisseurs de croire en Pablo, ce jeune prodige du cinéma américain. Arriveront-ils à trouver l’argent pour réaliser leur rêve ? Parviendront-ils à gagner la confiance de leurs actrices et acteurs ? À en croire la rédactrice-en-chef de Glassy, rien n’est moins sûr...
« “Tu sais que la plupart des rêves ne se réalisent jamais.” Sa voix de fumeuse était rauque, pleine d’une autorité crapuleuse. "Moi, je voulais être actrice eh ben, tu sais quoi ? Je l’ai été ! Pas celle que j’avais imaginée, mais j’étais assez mature pour comprendre ce que le monde attendait de moi.” »
Blaxploitation
Dans la culture New Yorkaise de la fin des années 70, un des sujets de réflexion les plus omniprésents est celui du racisme latent qui cible les Afro-américains. Il prend des formes variées, voire paradoxales, comme celle de la « blaxploitation ». Ce courant cinématographique vise à donner des rôles principaux à des acteurs et des actrices noir.e.s.. Pourtant, ce mouvement est loin de faire l’unanimité au sein de la communauté concernée qui considère que les rôles qui leurs sont attribués, bien que principaux, sont souvent stéréotypés voire caricaturaux.
« Tout en marchant, nous nous mîmes à débattre de la valeur [de la Blaxploitation] - Avery le trouvait rabaissant. (“Je n’ai pas passé quatre ans à bosser Shakespeare à Julliard pour jouer une mama sexy dans une combi velours.”) House croyait en l’utilité de ces films qui, quoi que puérils, pouvaient avoir un effet positif sur la société. (“un des bons côtés, c’est qu’ils donnent du pouvoir à ceux qui n’en ont pas.”) (…) »
Pourtant, la question de la représentation de la communauté noire sur le grand écran par des scénaristes et réalisateurs blancs touche particulièrement Pablo et Jay quand ils font la rencontre de la brillante et ravissante Avery. Sous son charme, ils décident de lui écrire un rôle sur-mesure :
« J’aimerais bien écrire un rôle que tu auras envie de jouer.
- Alors j’ai un conseil à te donner, proposa Avery
Mon stylo était dressé. « Je suis prêt.
- Ne parle pas des cheveux d’une Black tant qu’on n’aura pas eu une vraie conversation sur le sujet. »
Plan américain est un roman agréable qui présente intelligemment et clairement le monde du cinéma américain. Et pour cause, quand il n’écrit pas des romans, Seth Greenland est scénariste, ce qui se ressent à la lecture du livre. En effet, ce sont sans doute les dialogues qui sont le mieux réussis. Leur finesse et leur profondeur est mise en valeur par leur entremêlement au point de vue interne de Pablo, le narrateur. Plan américain est une belle plongée dans la culture new-yorkaise de la fin des années 70 et devrait particulièrement plaire aux cinéphiles.
"Plan Américain", Seth Greenland (traduit par Adélaïde Pralon), Editions Liana Levi, 320 pages, 22€