Dans ce premier roman, Nadège Erika nous entraîne dans une balade à Belleville, à travers une tranche de vie de la narratrice. De son enfance ballottée entre chez sa grand-mère et sa mère, son adolescence dans les rues du quartier et sa jeune vie d'adulte entre les hôpitaux. Une promenade guidée dans le XXème arrondissement.
"Mon petit" c'est le surnom de la narratrice que lui donne sa grand-maman, deuxième fille d'une fatrie de 4 puis de 5 enfants, de père différent et inconnu, vivant chez leur grand-mère rue Piat et le week-end chez leur mère Porte de Montreuil. Naëlle tente de trouver sa place dans les rues de Paris, dans cette famille peu traditionnelle.
Peu à peu, au fil des rues, la narratrice nous embarque dans ses souvenirs ravivés par les lieux qu'elle a habité, de la rue Piat à la rue de la Mare, en passant par la place Gambetta. Ce qu'elle décrit, c'est le changement d'un quartier mais aussi comment ces rues ont pesé sur son histoire, tragique.
Une histoire des lieux
Ce roman est vibrant de réalisme mais aussi de lieux perdus. Dans la promenade de Naëlle, ce sont les anciens lieux qui se confrontent à la nouveauté, à la grande gentrification du quartier de Belleville, où elle a grandi dans les années 90. La lente ascension de la rue de Belleville où elle confronte les commerces de bouche où sa grand-mère faisait ses courses aux nouveaux coffee shop et autre brunch en vogue.
"Pour la majorité des gens de Belleville et des visiteurs, la rue Piat, était à l'époque un coupe-gorge qu'il fallait contourner. (...) Mais comme pour tous les gamins de coin, peu nous importait de vivre dans une no-go-zone qui deviendrait bientôt une bobo-zone, nous n'entendions même pas les plaintes des adultes."
Si d'abord, elle décrit ces balades d'adolescentes dans le XXème, elles sont vite remplacées par celles avec la poussette de ses jumeaux, puis celles où adulte elle se remémore ses pas. Au-delà des rues, Nadège Erika décrit les intérieurs. Elle qui regarde l'immeuble rue de la Mare où elle a véçu les premières années avec ses enfants, elle qui regarde par le trou de la serrure pour retrouver ses souvenirs dans l'appartement de la rue Piat. Chaque souvenir évoqué par l'auteure est lié à un lieu : la rigidité de sa grand-mère rue Piat, le grand n'importe quoi et le manque de tout Porte de Montreuil avec leur mère Jeanne, la naissance de ses jumeaux et le drame de la rue de la Mare.
C'est une marche forcée parfois pour Naëlle que décrit l'auteure, celle de la fureur de vivre, une marche pour trouver sa place. "Depuis la rue de la Mare, pour aller visiter leur grand-mère Jeanne, nous passions parfois par le Père Lachaise, et invariablement par Gambetta et l'hopital Tenon, où étaient nés mes bébés, pour rejoindre la boulevard Davout et l'escalier 12. (...) La place Gambetta était mon point cardinal, sans doute parce qu'elle était à équidistance entre chez Jeanne et chez Grand-Maman."
Une trajectoire difficile
Mais au-delà de cette mémoire de lieux, ce qu'écrit Nadège Erika c'est aussi le drame de la vie et des secrets de famille, c'est le silence qui entourent son enfance et son drame personnel. Il y a d'abord Jeanne, la mère de Naëlle, qui peine à joindre les deux bouts, qui vit sans électricité la plupart du temps et chez qui tout est sujet à la fête. Il y a Grand-Maman, qui tient à conserver les apparences, qui même si elle a honte de sa fille et sa fatrie, s'attelle à offrir le meilleur à ses petits-enfants. Puis il y a Gustave, l'amour de jeunesse de Naëlle et surtout le père des jumeaux.
"Dans le quartier le plus beau c'était Gustave tout court. Le plus beau et le plus mature. C'était pas un gamin Gustave, il avait deux ans de plus que nous."
Tout le récit de l'auteure est traversé par les épreuves d'une jeunesse dans les quartiers et dans une classe sociale défavorisée. Un grand silence entoure la vie de la narratrice, de ses origines à sa couleur de peau, de cette soeur mort née à son drame personnel avec le décès de l'un de ses jumeaux, dont il faut taire l'histoire, pour enfouir ce secret. Mais c'est ce silence qu'elle tente de briser, elle ne veut pas oublier, elle ne veut pas passer sous silence ces drames qui balaient sa trajectoire.
"Je voulais bien me relever mais la mort d'un enfant c'est quand même une sacrée chute."
Nadège Erika écrit comme un rempart à l'oubli et contre le silence. Mon Petit est roman dur et sensible sur la destinée de Naëlle qui va de mal à pire. C'est un premier roman très réussi sur le vie d'un quartier et de ses habitants.
"Mon Petit", Nadège Erika, Les Livres Agités, 280 pages, 20,50€