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Rentrée littéraire : « Le grand feu », Léonor de Récondo

19 octobre 2023, par Mathilde Ciulla

Dans la Venise du XVIIIe siècle, Ilaria se débat avec l'abandon, la musique et la passion, entourée de ses multiples sœurs et de ses rêves d'envol. Léonor de Récondo nous livre une magnifique fresque musicale de la vie dans un orphelinat vénitien.

A sa naissance, Ilaria est confiée par sa mère à la Pietà, une institution religieuse qui recueille les filles abandonnées et les forme à la musique, au contact des plus grands tels qu'Antonio Vivaldi – au chant et au violon plus particulièrement. Ilaria n'est pas orpheline, elle est la fille d'une riche famille vénitienne mais sa mère imagine pour elle une vie d'art et de musique, loin des siens qu'elle ne voit qu'une fois par an, à Noël. Ilaria grandit donc, entourée de sœurs mais rejetée par sa famille. Elle s'ouvre à la musique et se passionne pour le violon, et elle aime les concerts donnés en public dans l'église, bien qu'elle soit cachée derrière une grille.

Une sororité inattendue

La vie prend une saveur particulière pour la jeune fille quand Prudenza arrive au couvent : elle est elle aussi la fille d'une riche famille vénitienne qui veut la former aux arts. Prudenza a le droit de rentrer chez elle tous les soirs, parcourant en gondole les canaux de la ville, ce qui fascine Ilaria. Une amitié intense se noue entre les deux filles, qui partagent tout. Et Prudenza invite Ilaria chez elle, pour sa plus grande joie, elle qui n'a d'autre occasion pour sortir du couvent et découvrir les lumières et les sons qui la fascinent tant au-delà des murs qui l'enferment.

"Ilaria se prend à rêver que ces deux heures pourraient être sa vie tout entière. La musique et la famille. L'ardeur qu'elle met soudain à jouer du violon parcourt son corps, fourmille dans ses mains. Son esprit, tendu par l'écoute, va exploser.
La voix, le virginal, la beauté. Elle tressaille, cette partition inconnue la remplit. Elle va prendre feu. Son violon va brûler, les tentures, le palais, tout va brûler. Elle n'est plus qu'une flamme vive, elle avec le ruban, l'habit blanc, ses tresses, une couronne incandescente."

A travers son amitié avec Prudenza, c'est l'appartenance à une famille qu'Ilaria découvre : le lien unique qu'elle développe avec son amie et les escapades qu'elles réussissent peu à peu à organiser sont précieuses à ses yeux. Et quand un garçon entre lui aussi dans la danse, Ilaria s'enflamme et ose imaginer un jour quitter ces murs qui l'emprisonnent au bras d'un homme qui brûle d'amour pour elle et rêve lui aussi d'ailleurs.

Le feu de la musique

Mais les plus belles scènes de ce roman de Léonor de Récondo sont sans conteste celles où elle développe le goût d'Ilaria pour la musique et en particulier pour le violon : tenir cet instrument dans ses bras lui procure une émotion que respecte l'autrice dans son choix de mots, délicats et passionnés, qui nous donnent l'impression de sentir les cordes sur la pulpe de nos doigts ou le poids du violon sous notre menton. Une fois de plus, la musicienne Léonor de Récondo n'est jamais aussi douée que quand elle partage les émotions créées par la musique.

"Le lendemain, elle lève son archet sous l'oeil attentif du maestro, qui cligne sous le joug du bleu, bleu dans la robe, bleu dans le corps. Ilaria, dans ce voyage intérieur allant d'elle-même vers les autres, éphémère et volatile, embarque tous les archets des musiciennes avec le sien, sans l'ombre d'un doute, en pleine clarté."

Le grand feu est incontestablement celui qui brûle en Ilaria quand elle joue du violon, quand elle se produit dans l'église, cachée derrière une grille, ou bien aux côtés de son amie dans sa famille. Mais il est aussi celui qui détruit : de la tristesse et de l'incompréhension face à l'abandon de ses parents qu'elle ne voit que très peu et qui ne lui témoignent aucune affection, de l'envie d'ailleurs, hors de ces murs qui l'enferment et l'empêchent d'explorer. Et bien sûr, celui de l'amour pour un garçon, le premier feu du désir charnel et de l'attente...

Léonor de Récondo signe ici un roman fort sur le feu des passions, miroir sensible des émotions d'une jeune fille.

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"Le grand feu", Léonor de Récondo, Editions Grasset, 224 pages, 19,50€




auteur
Rédactrice en chef Littérature


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