UNTITLED MAGAZINE
Beau roman de la rentrée littéraire sur le monde de la compétition sportive, Le Coeur arrière suit la progression d'un certain Victor, jeune garçon de douze ans qui vit seul avec son père dans l'Est de la France quand il voit un athlète s'envoler sous ses yeux ébahis. Alors qu'il grimpe les échelons de sa discipline, Victor fera de belles rencontres, comme des moins belles. Dudek propose une belle réflexion sur la pression qui est infligée aux jeunes athlètes et sur la complexité des relations entre les sportifs et leurs entraineurs.
Un beau matin, en tournant à droite plutôt qu’à gauche en sortant de la boulangerie, Victor et son père tombent sur un athlète qui s’entraine. Il trottine autour du bac à sable. Après quelques minutes, les yeux du garçon de 12 ans s’illuminent : l’athlète a accéléré, enchainé les foulées et sauté en l’air. Pendant quelques fractions de secondes, il a volé. « On doit se prendre pour le fils du vent » pense Victor sur le chemin du retour. Cette journée marque sa première rencontre avec l’athlétisme. Dans les semaines qui suivent, il demande à son père de l’inscrire au club de la ville. Les frais d’inscription demandent un sacrifice pour l’ouvrier dans une usine de l’Est de la France, mais il fait mine d’avoir des sous de côté.
Bien vite, Victor montre des prédispositions au triple saut. Il a des longues jambes de sauterelles, et surtout, une volonté de toujours faire mieux. Son entraineur se rend bien vite compte qu’il est bien meilleur que beaucoup de champions à son âge. Alors, il présente Victor à un sélectionneur, qui lui propose de rentrer en sport-étude. Quand son père lui demande ce qu’il veut faire comme métier plus tard, le jeune garçon répond timidement que l’athlétisme, il aime drôlement ça. Le Coeur arrière suit la progression d’un garçon qui décide à 12 ans de devenir champion de triple saut.
Papa, Jésus, le Cinglé
Au fil des pages, on assiste aux entrainements quotidiens de l’adolescent. Sur la piste, on s’aperçoit que ce ne sont pas les nombres de squats et de foulées ni même de centimètres conquis dans le bac qui comptent le plus mais plutôt les paroles de l’entraineur. Dans son roman, Arnaud Dudek décortique la relation et l’équilibre des pouvoirs entre un entraineur et ses athlètes. Pour ces jeunes dont l’avenir professionnel semble dépendre uniquement de leurs performances, les entraineurs sont plus que des figures d’autorité : ils revêtent en réalité le statut de dieu tout puissant.
« Il rêvait d’un entraineur rigoureux et proche de ses athlètes, capable de créer un environnement propice à leur éclosion. (…) Il espérait au fond un coach-mentor, un coach-ami, qui aurait désigné un check différent pour chacun de ses poulains. »
Malheureusement, quand Victor arrive dans l'un des meilleurs centres d’entrainement privés de France, ce souhait est loin d’être réalisé. Au début, il a un réel coup de foudre pour ce M. Forgeron qui lui est assigné. Celui qu’on appelle papa, Jésus ou le cinglé en fonction de son humeur, organise des entrainements exigeants qui font faire à Victor des bonds de comète. Mais très vite, le ton change, et l’entraineur se met à insulter Victor et les autres sur un coup de tête. Victor est déboussolé. La personne censée être son mentor lui crache dessus. Comment va-t-il réagir à cette violence ? Va-t-elle lui servir de coup de fouet pour améliorer ses performances ou au contraire le faire tomber ?
« Victor se réveille dans une chambre d’hôtel sans charme. Il ne sait pas quelle heure il est. Derrière les rideaux, derrière les volets, il fait grand jour. Il ouvre la fenêtre. Il se sent nauséeux. La veille, une migraine ophtalmique l’a mis KO. La veille, Forgeron l’a traité de pédale. »
Le coeur arrière
Plus qu’un roman sur le monde du sport, Le Coeur arrière est une véritable enquête sur la pression que subissent les athlètes dès le plus jeune âge, et l'impact possible sur leur santé mentale. Le récit fictionnel de Dudek est entrecoupé de résultats de son enquête et d’extraits de ses entretiens avec des athlètes.
« Les cas d’anxiété et de dépression chez les jeunes athlètes ont augmenté au cours des dix dernières années. (…) De toute façon, rien n’est prévu au centre [d’entrainement] pour s’assurer de la bonne santé mentale des jeunes, pas de cellule psychologique. Non mais sans blague. On paie déjà, et assez cher, un grand nutritionniste. »
À toute cette pression et ce harcèlement s’ajoutent pour Victor les affres de l’adolescence et le passage à la vie adulte loin de son père. Les études, les amis, les amours, ou plutôt l’amour, car il y a bien une fille en particulier… S’il est bien connu qu’un sportif doit laisser ses soucis au vestiaire, les soucis du terrain, eux, poursuivent Victor chez lui. Petit à petit, cet entraineur harceleur va affecter toutes les sphères de la vie privée de Victor, qui se met à avoir « mal au coeur. Pas le coeur qui bat, l’autre, derrière, celui qui se serre quand on perd. » Comment Victor va-t-il se défendre ? En a-t-il seulement envie ? Jusqu'où ira la manipulation ?
Le Coeur arrière est un roman qui prend progressivement de l’élan et s’envole tout à coup. On est pris dans le tourbillon de la course, et on se surprend à lire tout le livre d’une traite. L’histoire est à la fois touchante et très bien informée, et l’écriture simple et juste. Un livre grand public, qui peut plaire aux plus jeunes autant qu’aux adultes, aux très sportifs autant qu’aux moins sportifs.
"Le Coeur arrière", Arnaud Dudek, Editions Les Avrils, 224 pages, 19€.
