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Rentrée littéraire : "La vie clandestine" de Monica Sabolo

20 décembre 2022, par Mathilde Ciulla

En panne d’inspiration, Monica Sabolo se passionne pour l’affaire de l’assassinat d’un patron dans les années 80 par Action directe. Ce qui commence comme une enquête s’avère finalement un retour aux sources pour l’autrice qui plonge dans son histoire personnelle.

Le 17 novembre 1986, Nathalie Ménigon et Joëlle Aubron attendent, assises sur un banc du boulevard Edgar Quinet, que Georges Besse, PDG de Renault, rentre chez lui, et le tuent de trois balles. Monica Sabolo - à travers sa narratrice, Monica S. - redécouvre cette affaire en écoutant le podcast de France inter, Affaires sensibles, et se retrouve happée par le destin de ces deux femmes, arrêtées quelques mois plus tard en compagnie de camarades. Peu d’archives existent sur cette affaire et l’autrice se jette sur les livres des deux policiers ayant mené l’enquête, mais aussi sur des dizaines de numéros de Paris Match sortis à l’époque. Commence alors un travail sur la mémoire qui la mènera sur des territoires auxquels elle ne s’attendait pas.

Perte de sens

“J’étais incapable d’écrire. Les piles de livres qui s’entassaient au sol, disséminées le long des murs de ma chambre, me donnaient la nausée. La littérature m’avait permis de me tenir quelque part, d’exister dans un espace décalé, mais désormais, cet endroit avait disparu. Quelqu’un avait détruit mon refuge, cette cabane où je menais une vie secrète, mais tangible. Elle avait été soufflée par une tempête. Je ne ressentais rien , pas même le désir de la reconstruire. Je ne comprenais même plus ce que j’avais pu lui trouver, ainsi qu’on se réveille après une grande passion, échevelée et perplexe. Où pouvais-je bien aller maintenant ?”

L’autrice se jette à corps perdu à la suite de ces deux femmes qui ont commis l’irréparable pour leurs convictions et qui en ont payé le prix. Comme une obsession pour la sortir d’elle-même, de ses blocages d’écriture, pour redevenir elle-même. Elle est entièrement fascinée par ces deux femmes de moins de 30 ans si sûres d’elles-mêmes, oubliées du grand public, mais qui ont fait couler beaucoup d’encre - misogyne - à l’époque.

Alors Monica Sabolo comble les trous par son imagination, étudie les photos des jeunes femmes et se met à leur place, sans jamais mettre de mots dans leur bouche, sans jamais céder à la tentation de la fiction mais en livrant toute sa vérité à elle. Par là même, elle comble les trous de sa propre vie, de ce qu’on ne lui a pas dit de cette fausse paternité. A la clandestinité de la vie des camarades du groupe d’extrême-gauche Action directe, l’autrice accole celle d’une enfance pétrie de secrets et de vides.

S’il est impossible pour elle d’atteidnre la vérité de cet événement vieux de plus de 30 ans, l’autrice tente de s’en rapprocher le plus possible, de déceler les faillites de la mémoire, le travestissement de la réalité opété par tou.tes les acteur.rices de cette affaire. 

Des réponses venues de l’extérieur

Au fil des pages, le récit devient de plus en plus personnel et l’autrice nous fait entrer dans son histoire, dans ses origines floues, cachées d’elles pendant trop longtemps. Les deux récits s’entremêlent et s’alimentent. Est-elle vraiment la fille de ce père ? Que faire de toute la violence subie et tue ? 

“N’avons-nous pas chacun au fond de nous, des cavernes, des terriers reliés les uns aux autres par un réseau de galeries ? Nous ne pouvons nous i rendre, car nous ignorons leur existence, murée par l’inconscient, ou alors parce que nous sommes là, lampe frontale sur la tête, penchés sur ce trou noir qui mène au fond de la terre, et que nous savons qu’il n’y aura là-bas pas de lumière, pas d’oxygène, que nous pouvons nous y perdre, ou que l’eau soudain se mettra à monter et alors nous serons emportés pour toujours. Pourtant c’est là, dans ces profondeurs, que se trouvent nos émotions, nos douleurs les plus vives, nos remords, ces chagrins qui pourraient nous tuer. Ils sont prisonniers, voyagent tels des bulles d’air dans des couloirs inondés. Ce milieu est aussi vaste que le visible, aussi étendu que le sol sur lequel nous marchons.”

La vie clandestine est la tentative d’une femme de trouver des issues à ses interrogations sur la famille, sur les liens du sang, mais aussi sur la force des convctions politiques et de la nouvelle famille qu’elles rendent possible. Au cours des entretiens qu’elle mène avec d’anciens membres d’Action directe, au premier chef desquels Hellyette Bess, avec laquelle Monica S passe de nombreuses heures à échanges, l’autrice reconstitue un récit duquel elle se dit témoin défectueux. Et une forme d’envie la prend pour la force de ce groupe, de ce “nous” qui supprime les individualités. Une bouffée de respiration pour celle qui cherche encore la vérité sur elle-même et sur sa famille.

“S’approcher de la vie n’aide en rien, avancer jusqu’à sentir son souffle sur sa peau fait plus mal encore. En ce lieu où se tiennent enlacés l’espoir et l’inconsolable, la tendresse et l’indicible, aucune réponse ne surgit.” D’un dialogue entre l’extérieur - ce meutre et ses recherches sur les deux tueuses - et l’intérieur - sa propre histoire -, Monica Sabolo construit un récit sensible et honnête, où elle se découvre et tente de trouver des réponses à cette enfance à l’aide de vérités extérieures à elle.

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"La vie clandestine", Monica Sabolo, Editions Gallimard, 320 pages, 21 €

Découvrez d'autres livres de l'autrice :

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auteur
Rédactrice en chef Littérature


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