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Rentrée littéraire : "La Foudre", Pierric Bailly

17 août 2023, par Mathilde Ciulla

La Foudre est un roman des grands espaces, mais aussi de passion, quoiqu'un peu décalée. Un roman du temps qui passe et des revanches qu'on ne pensait pas prendre.

Julien est devenu John : il a pris la suite de son grand-père et est devenu berger dans le Haut-Jura. Il ne reste plus grand chose du Julien de l'internat en terminale où il a rencontré Alexandre Perrin. Entre les brebis qu'il garde cinq mois par an, les patous qui l'accompagnent et Héloïse, sa petite-amie avec qui il a pour projet d'aller d'installer à la Réunion, John est heureux. Alors quand il découvre dans le journal, des mois plus tard, que son ami Alexandre, devenu vétérinaire et militant écologiste, est en prison pour avoir tué un homme, les souvenirs remontent et il cherche à entrer en contact avec la femme de ce dernier, Nadia, qui était également au lycée avec eux.

De Julien à John

"Je peux passer des heures à ne pas bouger, même par mauvais temps, planqué sous mon grand parapluie, le cul posé sur un sac-poubelle, les chaussures et le pantalon trempés et l'esprit qui vagabonde. Je n'ai même pas besoin d'un prétexte pour mévader, ça se fait tout seul, je ne maîtrise rien, je passe d'un sujet à un autre."

On suit, au fil des premiers chapitres, l'existence saisonnière de ce berger de trente-cinq ans, heureux dans son chalet d'alpage sans internet, entouré du silence des montagnes perturbé seulement par quelques randonneur.ses. Il s'y sent bien, à l'aise dans ce personnage un peu rustre qui vit au rythme des bêtes et des visites le week-end de sa petite-amie Héloïse.

Mais l'histoire prend un tournant différent et le personnage de John un peu plus de profondeur quand Pierric Bailly met entre ses mains la nouvelle de l'emprisonnement d'Alexandre. S'ensuivent alors de longs retours en arrière pour John : le lycée, son groupe de copines qui avaient révélé à lui-même une facette différente de sa personnalité, et l'arrivée, en terminale, d'Alexandre dans sa chambre d'internat. Cette dernière année de lycée cristallise, pour celui qu'on appelait encore Julien à l'époque, beaucoup de ce qu'il deviendra : des premières histoires d'amour à son départ de sa vallée jurassienne pour aller étudier, notamment à Montpellier.

"J'ai tout de suite envié le rire d'Alexandre, ce rire ouvert, tellement naturel. Alors je me suis entraîné face au miroir de la salle de bains chez mes parents, et j'ai compris que j'avais les moyens techniques de me l'appropier. Je savais rire comme lui. (...)
Je ne lui ai pas piqué que son rire.
Mais le reste nécessitait davantage qu'un simple bagage technique.
Pour le reste, je n'étais pas encore prêt. J'avais besoin de vivre un peu plus."

D'Alexandre à Nadia

Après moult tergiversations, John contacte finalement Nadia, la femme d'Alexandre, qui a emmenagé chez sa mère avec ses deux enfants. Iels se voient, vont marcher en montagne, combattent le malaise qui les habitent, et renouvèlent finalement l'expérience. Alex est constamment là, entre eux, dans les mots de Nadia et dans les pensées de John. Pierric Bailly instille avec brio une culpabilité lancinante qui déborde de ce personnage auquel on s'attache, et l'impression que l'un prend doucement la place de l'autre.

Cette forme de duplicité chez Julien/John donne de la profondeur au roman, ce qui est également renforcé par les allers-retours dans le passé et le mystère qui entoure les raisons pour lesquelles Alexandre et John ne se parlent plus. Les facettes du narrateur semblent irréconciliables et validées à ses yeux par l'environnement social dans lequel il se trouve - ainsi que par Alexandre à une certaine époque, et par Nadia désormais ?

"Il m'aidait à considérer les choses avec calme et discernement, à moins céder à mes impulsions, à moins me précipiter, à moins me laisser dominer par mes émotions. On peut trouver tout ça nunuche, mais le fait est que ça ne me faisait pas de mal, bien au contraire. Je le voyais comme un petit gourou zen, un dieu de poche auquel je me référais de temps en temps (...)."

En même temps que la relation entre Nadia et le narrateur évolue, nous ne cessons de nous interroger sur la sincérité du narrateur - envers lui-même au premier chef - et sur la forme de passion qui lie ce trio bien particulier. 

Sur fond de débats autour de la chasse et de la protection des animaux, qui hantent aussi bien le passé que le présent du narrateur, c'est un roman sur les rencontres décisives d'une vie que signe Pierric Bailly. Un roman où nature et relations sociales font cohabiter deux êtres - Julien et John.

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"La Foudre", Pierric Bailly, Editions P.O.L, 464 pages,24€




auteur
Rédactrice en chef Littérature


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