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Rentrée littéraire : “L’interrogatoire” de Suzanne Azmayesh

7 décembre 2022, par Mathilde Ciulla

Alors que les femmes iraniennes se soulèvent, Suzanne Azmayesh nous propose un roman fort qui nous interroge sur l’identité et le rapport aux origines, face au racisme qui fait encore rage dans notre société.

Depuis qu’iels se sont rencontré.es à la soirée d’un ami commun, Ava et Simon filent le parfait amour. Iels aiment beaucoup voyager et après avoir été au Maroc et au Liban, iels dédident de se rendre en Israël à l’occasion du mariage d’une cousine de Simon. Sauf qu’Ava s’appelle Ava Mohandessi et que ses parents sont nés à Téhéran et ont fui l’Iran au moment de la Révolution islamique, ce qui semble poser un problème aux autorités israéliennes. Le jeune couple - mais surtout Ava - va donc passer plusieurs heures à l’aéroport de Tel-Aviv pour répondre à des questions. Un interrogatoire vécu comme une injustice par la jeune femme et l’occasion pour elle de repenser à la place qui lui est faite dans la société française.

Quand la géopolitique rattrape le personnel

Ava et Simon patientent - où pourraient-iels bien aller sans leurs passeports, retenus par les autorités israéliennes ? - dans cette salle d’attente climatisée qui tranche avec la chaleur à laquelle s’attendait Ava. Iels sont presque seul.es, à l’exception d’une autre jeune femme, enceinte et voilée. S’il n’est pas immédiatement prévisé que les deux amoureu.ses se rendent en Israël, on se doute rapidement que c’est le lien d’Ava avec l’Iran - et avec l’islam plus généralement - qui est la raison de cet interrogatoire. Les problématiques géopolitiques régionales font une irruption violente dans la vie d’Ava et la retiennent en otage dans cet aéroport.

"Ava tient si fort le visa dans sa main qu'elle pourrait le froisser, n'en faire qu'une boulette, un détritus de papier qui ne vaudrait plus rien. Elle est capable d'une bêtise, une seconde de bascule une toute petite seconde, et elle pourrait le déchirer, en faire des confettis qu'elle répandrait par terre dans un cri. Quelquefois elle glisse, elle s'approche de la frontière, cette mince et ténue frontière, entre la normalité et la folie. Quelquefois, elle se fait peur." Ava est pleine d’incompréhensions qui, au fil des heures d’attente, se muent en une rage contenue face à l’injustice qu’elle subit, face à la violence des questions qu’on lui pose. On semble lui imputer une différence qu’elle aimerait ignorer. Un sentiment qui amène son esprit à s’échapper dans des réflexions sur son couple.

Simon est juif, une partie de sa famille a été décimée dans les camps d’extermination nazis et cet héritage est pour lui très important. Et il semble être très fier de son couple “mixte” - un Juif et une Iranienne. Sauf qu’Ava est Française, née en France, qu’elle n’a jamais mis les pieds en Iran et que le pays qu’elle connaît à travers les récits de jeunesse de ses parents n’existe plus depuis bien longtemps. Il n’en reste que les quelques artéfacts dans l’appartement parisien de ses parents, la religion soufie qu’iels partaqent et le farsi qu’elle parle avec eux. Alors elle ne peut que ressentir une certaine gêne à être présentée comme “exotique” par l’homme qui partage sa vie - et nous avec !

Un interrogatoire quotidien

A l’heure des soulèvements en Iran, menés par ces femmes courageuses qui décident d’enlever le voile, Suzanne Azmayesh donne à voir le rejet ressenti par la jeune Ava quand elle est associée à un pays qu’elle ne connaît pas et un régime qu’elle exècre. Tandis que les questions sur la religion de ses parents et sur sa foi personnelle se succèdent dans cette salle froide d’aéroport, c’est une véritable humiliation que vit Ava. Une humiliation qu’elle a eu à vivre toute sa vie quand ses camarades de classe de primaire n’aimaient pas les gâteaux typiques de l’Iran offerts par sa mère, quand les premières questions qu’on lui pose en la rencontrant portent bien trop souvent sur ses origines qui se décèlent à travers ses cheveux, son grain de peau ou la couleur de ses yeux. "Pour la France, elle n'est pas iranienne, pour l'Iran, elle n'est pas française, et elle, elle n'est pas capable de dire."

Ce récit, qui ne pointe pas forcément de responsables et donne à voir la situation vécue par de nombreuses personnes en France, permet de mettre en lumière ce racisme ordinaire qui impose à Ava de toujours se justifier, de donner le change de l’exotisme qu’on attend d’elle et de faire profil bas. L’autrice rapproche cette situation de celles vécues par les personnes juives victimes d’antisémitisme - comme Simon, à la différence qu’elle l’envie parce que, dans son cas, les origines polonaise et hongroises de sa famille ne sont pas inscrites sur son visage.

Un récit riche qui interroge le rapport aux origines et au racisme, au poids des héritages familiaux et aux traditions qu’on se construit.

l'interrogatoire.jpg

"L'interrogatoire", Suzanne Azmayesh, Editions Léo Scheer, 216 pages, 18€

Découvrez d'autres livres de l'autrice :

trois personnes en forme de poire.jpg      



auteur
Rédactrice en chef Littérature


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