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Rentrée littéraire : “L’évaporée” de Fanny Chiarello et Wendy Delorme

4 janvier 2023, par Mathilde Ciulla

Roman à deux voix s’alternant, L’évaporée retranscrit avec sensibilité les deux faces d’une même histoire d’amour, donnant leur juste place à la subjectivité et à la vulnérabilité de deux femmes qui questionnent également la création littéraire.

Jenny est écrivaine. Elle habite dans une petite maison, travaille sa terre et a pour tout entourage quelques couples d’amies. Eve, elle, est journaliste. Elle vit à Paris, avec ses fils issus d’un mariage s’étant terminé en divorce et aime les soirées mondaines. Quand elles se rencontrent, leurs modes de vie respectifs ne semblent pas compatibles. Et pourtant elles s’aiment, à leur façon jusqu’au jour où Eve monte dans sa voiture et en pleine nuit et quitte Jenny sans plus d’explications.

Une relation, deux séparations

Ce sont donc en alternance les points de vue de Jenny et d’Eve que nous découvrons, respectivement écrits par Fanny Chiarello et Wendy Delorme. Deux autrices qui ne se sont rencontrées qu’une fois mais qui, plusieurs années plus tard, décident d’écrire à quatre mains sur le sujet intime par excellence : l’amour - ce qu’elles racontent magnifiquement dans le prologue et l’épilogue, qui apportent une lumière enrichissante au roman.

Au réveil, découvrant l’absence de son amante, Jenny ne cesse de l’appeler. Elle ne croit tout d’abord pas à son départ si soudain, pas après les mots qu’Eve a prononcés la veille : “Quels merveilleux moments j’ai passés auprès de toi, aujourd’hui encore : je veux ça tous les jours de ma vie.” Elle a besoin de comprendre, de se battre pour son amour. Mais sans réponse d’Eve et avec le soutien de ses amies, elle tente de reprendre le cours de sa vie, de ses créations - littéraires et potagères.

[Jenny] “Je me demande ce que tu fais, toi, dans ta foutue capitale asphyxiée. Tu as désormais tout le temps de t’immerger dans le travail, sans interférence de mon encombrant amour ; je t’imagine frétiller devant l’immensité de la tâche, armée de ton téléphone et de ton carnet, comme je le fais au seuil du jardin, gantée de vert, une binette à la main gauche et une bêche à la droite.”

Eve, de son côté, est retournée dans son appartement parisien, son refuge de la rue Daguerre où elle avait besoin d’être, où elle a passé son enfance avant que tout ne déraille, et où elle a voulu élever ses enfants. Si Eve est tout d’abord un mystère pour les lecteur.rices, elle se dévoile précautionneusement au fil des pages et raconte les rencontres qui l’ont menées à devenir journaliste, en même temps que celle qui lui a révélé son lesbianisme.

Des fantômes du passé bien vivants

Le style d’écriture des deux autrices se marie à merveille dans ce roman choral époustouflant. Chaque nouveau chapitre, dans la tête de Jenny aussi bien que dans celle d’Eve, nous rapproche des deux femmes, en fait nos soeurs et rend leurs histoires si singulières presque palpables. L’incompatibilité de façade des modes de vie radicalement opposés de chacune laisse rapidement place à l’évidence de leur amour, autant qu’à la puissance du passé qui empêche le présent d’advenir, et les deux femmes d’être ensemble. Leur deux métiers supposent le passage par les mots, et elles y excellent toutes deux. Et pourtant, ce sont bien les non-dits, l’impossibilité d’exprimer le passé pour renvoyer les fantômes à leur place qui les maintient séparées.

[Eve] “Mais c’était illusoire, un mensonge à moi-même. Comment lui expliquer que je ne peux pas partir, et que ce rituel du samedi matin est ancré dans l’enfance, une enfance qui se tait, dont elle ne connaît rien qu’une version officielle ?”

L’histoire d’amour narrée par Fanny Chiarello et Wendy Delorme illustre bien la puissance de ce que nous héritons de notre passé, de notre vécu et le poids de l’absence. Les autrices mettent en avant avec sensibilité la force de sentiments tels que la trahison, le remords ou l’incompréhension, sans jamais une once de jugement envers leurs personnages.

Un roman qu’il est difficile de reposer, animé par des personnages avec lesquelles on aurait aimé pouvoir parcourir encore davantage de chemin.

l'évaporée.jpg

"L'évaporée", Fanny Chiarello et Wendy Delorme, Editions Cambourakis, 184 pages, 18€ 

Découvrez d'autres livres des autrices :

le sel de tes yexu.jpg      



auteur
Rédactrice en chef Littérature


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