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Rentrée littéraire : “L’enragé”, un livre de Sorj Chalandon

1 septembre 2023, par Marie Heckenbenner

Après Une joie féroce, Profession du père ou Enfant de Salaud, Sorj Chalandon revient avec un roman flamboyant dans lequel il s’inspire de faits réels et met en scène un adolescent évadé d’une colonie pénitentiaire.

Octobre 1932, Jules Bonneau surnommé “La Teigne” est enfermé dans le centre d’éducation surveillée de Belle-Ile-en-Mer. Un centre au sein duquel on “mate” voyous et récalcitrants, qui sont en réalité des enfants abandonnés ou orphelins. En 1934, 56 jeunes s’évadent de la colonie, et commence alors une véritable chasse à l’homme pour les retrouver.

L’invraisemblable bagne de Belle-Ile-en-Mer

Tout débute dans les années 70, lorsque l’écrivain et journaliste au journal Libération Sorj Chalandon découvre l’incroyable bagne pour enfants de Belle-Ile-en-Mer. Pendant plus d’un siècle, ce centre a accueilli d’abord des prisonniers puis des mineurs, bannis de la société, pour les empêcher de nuire “aux gens honnêtes”. Fermé en 1977, les baraquements sont aujourd’hui encore visibles sur l’île.

Et c’est autour d’un fait divers que l’écrivain a décidé de construire son histoire : 56 jeunes prisonniers se sont révoltés puis enfuis. Pour aider la police et les surveillants, les habitants de l’île sont sollicités en échange de quelques pièces. Tous sont rattrapés sauf un, et on ne sait ce qu’il est devenu. A travers l’histoire romanesque de ce jeune fugitif appelé “La teigne”, on découvre les conditions de vie de cette colonie pénitentiaire, qui n’a en réalité rien à voir avec une colonie de vacances. L’auteur se glisse dans la peau du fugitif, imagine l’avant puis la fuite, et nous partage le quotidien de ces enfants, humiliés mais aussi exploités à l’intérieur comme à l’extérieur dans les fermes voisines.

Entre ces “murs”, c’est la loi du plus fort qui s’applique. D’un côté les adolescents, de l’autre les surveillants, qui exercent en permanence une violence injustifiée. Ces enfants, qui ont parfois subi de graves traumatismes, sont remplis d’un mal-être et d'une rage, qu’ils ont parfois du mal à canaliser. Pour les contrôler, ils sont battus, violentés, humiliés. Mais dans quel but ? Les remettre sur le droit chemin, selon les autorités.

“Éducation correctionnelle, comme ils disent. Ils veulent nous instruire, nous ramener au bien. Pour nous inculquer de l'honneur, ils nous redressent à coups de trique et de talons boueux. Ils nous insultent, ils nous maltraitent, ils nous punissent du cachot, une pièce noire, un placard étroit, une tombe. Ils concassent les mauvaises graines. Ils nous veulent tendres et lisses comme du pain blanc. À la salle de police, les chenapans, les nuisibles, les voyous. A la taloche, les dégénérés, les vicieux, les incorrigibles. Au mitard les infâmes. Briser les tout-petits, étrangler les plus grands, les rêves des uns, la colère des autres. Transformer ces gibiers de potence en futurs soldats, puis en hommes, puis en plus rien.”

“Chasse à l’enfant”

Partager ses blessures, raconter la souffrance, mettre en lumière les horreurs de ces bourreaux… C’est ce que fait de mieux Sorj Chalandon. Et il connaît ses gammes sur le bout des doigts. En se mettant dans la tête de cet enfant évadé, il livre un témoignage poignant, sur ces maltraitances faites aux enfants, qui eux, n’ont pas eu la chance d’être choyés, aimés, et à qui personne n’a tendu la main. Leur seul avenir, être enfermés dans un bagne, loin des yeux du monde, dans un système éducatif où le redressement n’a qu’un seul but : les casser. "Tout était en train de disparaître. Les insultes, les brimades, les vexations, les humiliations, les coups. Le froid de l’hiver, la brûlure de l’été, l’odeur de nos corps sales, la faim, les punaises, les poux, la gale. Je nettoyais sept ans de bagne à grande eau. A coup de hargne. J’étais enragé. Je vivais.”

Bien que ce roman se démarque des précédents de l’auteur, les thèmes qui lui sont chers continuent de faire écho à ses précédents livres : la justice, les salauds, la politique, l’enfance maltraitée. A l’aide de phrases courtes, envoyées telles des rafales, l’auteur trouve les mots justes pour plonger son lecteur dans les tréfonds de l’âme humaine. D’une écriture à la fois lyrique et tranchante, Sorj Chalandon décrit la violence, la haine, la rage de cet enfant dont il connaît intimement la souffrance. “Personne n’en sait rien. Personne, jamais, ne parlera de cette solitude. De cette misère. De l’immensité d’une nuit sans toit lorsqu’on dort sous le ciel. De la rosée du matin, qui parle sur la veste d’un pauvre”.

A travers ce récit plein d’humanité, Sorj Chalandon redonne une identité à ces grands oubliés de l’Histoire et raconte la violence de l’enfermement. Un bel hommage aux enfants opprimés qui n’ont pas tous la chance de s’évader.

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"L'enragé", Sorj Chalandon, Editions Grasset, 416 pages, 22,50 €

Découvrez d'autres livres de l'auteur :

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Amoureuse des livres et dénicheuse de bons restos🍷 Journaliste et fondatrice d'Untitled Magazine. Pour la joindre : m.heckenbenner@untitledmag.fr


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