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Rentrée littéraire : "L'amour" de François Bégaudeau

24 novembre 2023, par Lucie Jubin

Avec L’amour publié dans la collection « Verticales » de Gallimard, François Bégaudeau signe un joli texte sur la beauté de la vie quotidienne d’un couple qui n’a rien d’extraordinaire. En quelques pages, il brosse soixante ans de la vie de Jeanne et Jacques, que l’amour semble préserver du temps qui passe.

Jeanne n’a pas vingt ans. Tandis qu’elle aide sa mère à faire le ménage dans le gymnase d’une petite ville de province, elle ne peut s’empêcher de lancer des regards au beau Pietro qui court sur le terrain. Son travail de réceptionniste dans un hôtel lui laisse le temps de rêver à ce beau garçon. Un soir, alors qu’elle est de sortie, elle rencontre Frédéric, une grande gueule, et son ami Jacques. Tout timide, il met du temps avant de parler à Jeanne.

Un jour, alors qu’il est en route vers un champ où promener son chien, Jacques tombe sur Jeanne et l’invite à se joindre à leur balade. Elle accepte. Bien vite, le froid les force à s’emmitoufler à deux sous le même manteau. Bien vite, le premier baiser arrive. Jeanne et Jacques ne le savent pas encore, mais ils vont passer le reste de leur vie ensemble.

Le tourbillon de la vie

En moins de cent pages, François Bégaudeau retrace la vie d’un couple qui fait tranquillement son petit bonhomme de chemin. Au début, ils se contentent du peu qu’ils ont. Il travaille comme jardinier municipal, elle est réceptionniste de nuit à l’hôtel. Petit à petit, les choses se débloquent. Jeanne trouve un emploi en journée. Ils achètent leurs premiers meubles. Bientôt, c’est l’enfant qui débarque dans leur vie, et avec une nouvelle façon de voir le monde.

L’une des richesses de ce livre est l’enracinement de l’alliance immuable entre Jeanne et Jacques dans un monde qui semble évoluer à une vitesse vertigineuse. Alors que, progressivement, la télévision arrive, suivie du lave-vaisselle, des caméscopes et des téléphones portables, alors que le fils de Jacques et Jeanne parle de formations à New York et de mutation en Asie, l’amour qui unie Jeanne et Jacques, lui, ne bouge pas vraiment. En apparence inviolable, il semble bien à l’abri dans l’œil du cyclone.

Les petites beautés du quotidien

Ce livre touche particulièrement par sa capacité à déceler la beauté de la vie quotidienne d’un couple on ne peut plus banal. En effet, L’amour est avant tout le récit de la vie ordinaire de deux personnes lambda. Comme de nombreux couples, Jeanne et Jacques se disputent à propos de la nécessité de changer d’assiette entre le fromage et dessert. Comme de nombreux couples, ils ne sont pas d’accord sur les chanteurs à écouter ou les émissions de télé à regarder.

« Jacques énerve Jeanne à mettre des cornichons avec tout, à manger la peau du saucisson sec, à remettre un tee-shirt sale, à ne pas couvrir son crâne d’oeuf à la plage, à laisser un rhume trainer plutôt que de prendre des antibiotiques (…), à piétiner dans la cuisine alors qu’il n’a rien à y faire puisque monsieur n’en fout pas une.
Jeanne énerve Jacques à répéter qu’il ne fout pas une alors que dès qu’il aide elle l’engueule, à nager la tête hors de l’eau pour garder les cheveux secs, à sortir l’aspirateur pour une miette (…) à donner les réponses à l’adversaire au Trivial, à oublier les règles du rugby à mesure qu’il les lui explique (…). »

Mais derrière ces râlements et ces reproches, on perçoit bien la force de l’amour qui unit Jeanne et Jacques. De fait, quand, dans le cadre d’un jeu, on demande à Jacques quelle personne il emporterait sur une île déserte, il répond sa femme, « pour la lessive ». Quand on questionne Jeanne sur la personne qu’elle n’oubliera jamais d’emmener en vacances, elle choisit son mari, « pour le noyer ». Derrière ces taquineries, impossible de ne pas entendre l’infinie tendresse et la puissante affection qui unit le couple.
En lisant L’amour, on comprend que la vie grande n’est pas nécessairement la vie exceptionnelle. Les petites choses du quotidien sont aussi pourvues de valeur et peuvent être le sel d’une existence. Un propos rassurant, qui fait du bien à entendre et qui est illustré avec délicatesse et poésie dans ces quelques pages de Bégaudeau.

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"L'amour", François Bégaudeau, Verticales/Gallimard, 96 pages, 14,50€




auteur
Quelle meilleure manière de sortir des confinements que de rejoindre la rédaction d’Untitled Mag au printemps 2021 ! Actuellement étudiante en philosophie et en lettres, Lucie prend beaucoup de plaisir à alterner lectures contemporaines et classiques. Étant à moitié britannique, elle aime autant lire en français qu’en anglais, et prend particulièrement de plaisir à parler d’oeuvres anglo-saxonnes aux Français, et vice versa !


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