Dans ce roman qui prend place en novembre au Havre, sous la brume et les souvenirs, Maylis de Kerangal évoque les traces d'une vie, les fantômes et l'histoire d'une ville.
La narratrice reçoit un beau matin un coup de fil de la police du Havre lui annonçant qu'ils ont retrouvés un corps non identifié sur une digue et que cet homme avait sur le lui son numéro de téléphone. Avec cette seule information, elle décide de partir au Havre, sa ville natale, celle qu'elle a quitté et où elle ne revient presque jamais.
Laissant mari et enfant derrière elle, la narratrice entame une voyage sur les traces de ce cadavre non identifié mais aussi sur les traces d'une autre vie qu'elle a laissé la-bas. Entourée de ses souvenirs et au gré des rencontres, elle retrace sa vie.
Une histoire de fantôme
Qui peut bien être cet homme ? Même si c'est la question qui semble au coeur de ce roman, il y est plutôt question de nostalgie et de retour dans le passé. Lorsqu'elle se retrouve sur la grêve du Havre, la narratrice débale ses souvenirs de son père à son amie Vanessa, perdue de vue depuis le lycée, les soirées sur la digue mais surtout cet amour de jeunesse disparu sans laisser de trace, Craven.
"J'avais hâte d'être dehors, hâte d'être dans le froid dur, cassant, exfiltrée d'une nuit bousillée par les réveils successifs, réveils où la phrase du flic me revenait aussitôt, ondoyante, récursive, telle une ligne de basse, le corps d'un homme, sur la voie publique, Le Havre. "
Maylis de Kerangal nous plonge dans son univers, dans la brume de la ville mais aussi celle qui habite le cerveau de sa narratrice. C'est un retour sur ses terres, un retour intérieur, comme si l'immensité de la mer permettait à la narratrice de se retrouver ou comme si elle avait besoin de ça pour retourner sereinement à sa vie laissée à Paris. Elle renoue avec son passé tout en se perdant dans les rues de la ville.
L'autrice nous fait voyager dans la psyché de sa narratrice, elle tente d'esquisser les contours de cette quadragénaire qui doute, de sa relation avec sa fille qui vacille, de sa carrière en perte de vitesse. On se laisse prendre par la main grâce aux mots de Maylis de Kerangal pour suivre le fil de la pensée de la protagoniste.
"Peu à peu, de cette manière tâtonnante et archéologique, les noms reviennent, ils reprennent du service, ils remuent le bourbier : ils relancent la cartographie de la ville fantôme."
Une histoire de ville
Cependant, ce n'est pas que la trajectoire de sa narratrice que tisse l'autrice, c'est aussi celle d'une ville, malheureuse. Le Havre ne trouve pas grâce aux yeux de la narratrice, elle qui a cherché absolument à la quitter, s'éloignant ainsi de son histoire. Lorsqu'elle revient après cet appel, elle décide d'enquêter à son tour sur cet homme inconnu, et durant cette enquête, elle va devoir retraverser cette ville et ses souvenirs.
Maylis de Kerangal tisse son roman sur deux cartes, l'une se superposant à l'autre comme un papier calque, ici celle du Havre. Elle décrit la vie des dockers et les fréquentes altercations avec les narcotrafiquants qui viennent compliquer leur tâche, elle décrit ce port comme un espoir pour ces deux jeunes adolescentes urkrainiennes mais elle décrit aussi ses rues, ses commerces et ses cinémas. La ville se dévoile au fur et à mesure que la brume se lève.
"Le tram glissait le long de l'avenue Foch, il glissait vers la porte Océane, et mes pensées glissaient à même vitesse, le long des façades rigoureuses, épurées, théâtrales, il glissait dans cette grande absence que l'on avait comblée après guerre par de l'architecture. "
Le portrait du Havre est celle d'une ville en faillite comme tant d'autres, cette ville grise et triste dans laquelle on traine ses peines selon la narratrice. A travers le portrait du Havre, c'est aussi celui de la société que l'autrice fait.
Dans ce roman, elle décrit autant la géographie d'une ville que celle de sa narratrice.
"Jour de ressac", Maylys de Kerangal, collection Verticales, Editions Gallimard, 256 pages, 21 euros