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Rentrée littéraire : "Buveurs de vent" de Franck Bouysse

4 novembre 2020, par Untitled Magazine

Un an après Né d’aucune femme, Franck Bouysse revient avec un récit noir et ensorcelant, d’une rédemption tragique et poétique, autour de la légende du Gour Noir, en plein coeur du Massif Central. 

Frères et soeur, ils sont quatre : Marc, le passionné de littérature qui se cache pour lire, Matthieu, l’amoureux de la nature, Mabel, la beauté sauvage qui fait tourner la tête des hommes et Luc, l’idiot du village. Soudés comme jamais, ils forment une fratrie face à un père à la main lourde et une mère fermant les yeux sur les tourments familiaux. Et ils en ont besoin ! 

Au Gour Noir, l’avenir semble bien sombre. Dans cette ville, une seule perspective se dessine pour ces enfants : travailler à la centrale qui alimente toute la ville, aux carrières ou pour Joyce, le propriétaire tyran qui dirige tout, même le shérif. Tel un souverain en son royaume, celui-ci a même baptisé de son nom toutes les rues de la ville.

Un lien indéfectible

Ils sont liés comme les quatre doigts de la main, et c’est ça qui fait leur force. Buveurs de vents est d’abord un récit lumineux rendant hommage à ces fratries, toujours plus unis face à l’adversaire. “Ils s’assirent sous la vaste paupière maçonnée, serrés les uns contre les autres, dessinant à eux quatre l’iris de l’oeil d’un cyclope inscrit dans la pupille laiteuse du ciel, toujours en leur royaume, échappant ainsi à une destinée cartographiée de longue date par les adultes. Ils inspiraient fort et buvaient le vent qui montait de la vallée, le recrachant en relents de tempêtes sous leurs crânes d’enfants”.

Abandonnés par cette mère bigote et ce père hanté par de vieux démons, ensemble, ils rêvent d’un avenir meilleur. Leur seul bonheur se trouve dans leurs rêves, et dans ces moments de jeux en pleine nature, hors de la présence de leurs parents. “On embrasse, on acclimate, on déraisonne, on raccommode, on s'accommode, on marchande, on saisit, on repousse, on ment, on fait ce que l’on peut, et on finit par croire que l’on peut. On veut faire croire aux hommes que le temps s’écoule d’un point à un autre, de la naissance à la mort. Ce n’est pas vrai”. Un autre avenir existe-t-il ailleurs ? Alors que leur arrière-grand-père, leur grand-père, leur père, que toute une génération trime à la merci de ce tyran, comment échapper à son destin ?

Sous la plume de Franck Bouysse, la nature en impose, et les héros, jusque dans leurs faiblesses les plus intimes, composent un tableau sombre et attachant. Ici, l’écriture somptueuse de l’auteur, s’accorde avec la beauté de la nature et les sentiments des personnages. 

Quête de liberté

Contrairement à Grossier le ciel et Né d’aucune femme, avec leurs personnages bruts, paysans, tous en silences, Franck Bouysse pousse ici un peu plus le trait, multiplie les perspectives et les protagonistes. Comme pour nous faire réagir, il dresse des personnages rigides, campés sur leurs positions, donnant à voir de vrais vilains et de parfaits innocents. “Les hommes disent souvent trop tard les choses qu’ils ont sur le coeur ou ils ne les disent jamais, et des fois même, ils ne comprennent pas que c’est sur le coeur que sont les choses…” Mais alors que certains rêvent de révoltes et de grève pour sauver cette ville, d’autres accusent le coup, triment, subissant cette vie.

Mais c’est aussi une grande tragédie qui émerge dans cette nouvelle galerie de personnages : un père soumis, une mère bigote, un grand-père usé, des tyrans, un bordel, un marin égaré et des enfants avides de liberté. “Proposer une vie meilleure aurait été considéré comme un acte de haute trahison envers la bête. Continuer, transmettre la soumission et la peur, démembrer les rêves entrevus dans l’enfance, représentant le projet des adultes”

Au fil des pages, une sensation lourde se fait ressentir. Une sensation de sursis comme toujours dans les romans de Franck Bouysse, pour ces personnages en quête du précieux salut dans l’argent, le pouvoir ou la religion. Avec Buveurs de vent, l’auteur signe un roman vibrant, autour de la puissance de la nature et une belle promesse, celle de l’insoumission.

"Buveurs de vent", Franck Bouysse, Edition Albin Michel, 400 pages, 20,90 euros

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