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Rentrée littéraire : “Badjens” de Delphine Minoui

3 septembre 2024, par Marie Heckenbenner

Après ses très remarqués livres Les passeurs de livres de Daraya et Je vous écris de Téhéran, Delphine Minoui met en lumière avec Badjens la jeune génération iranienne qui se dresse contre le régime Khamenei.

Naître femme en Iran

“A cet instant-là, j’ai compris. J’ai compris le rôle qui m’était assigné. Jusqu’ici, je n’étais qu’une erreur. Désormais je serais celle qui s’écrase, se tait. Celle qui regarde par terre. Qui ne hausse pas trop la voix. Qui ne se plaint pas, ni ne se fait remarquer. Celle qui écoute ses cousins, ses oncles, son père, son grand-père, mais qu’on entend jamais. A part pour Maman, je ne compte pas. Je suis invisible”. C’est dans ce contexte que la jeune Zahra grandit. Elle est entourée d’un père très rigide, d’une mère soumise à son mari et de petits frères pourris gâtés. Car oui, dès sa naissance, son grand-père voulait la supprimer, car encore aujourd’hui en Iran, avoir une fille est une honte. Une décision qui finalement ne se prit pas pour cause de tarifs trop élevés. 

Dans le silence étouffant de son quotidien, la jeune fille - affectueusement appellée Badjens (“l’effrontée") par sa mère, un surnom qui traduit à la fois son esprit rebelle et l’amour qu’elle lui porte, se livre à un monologue intérieur, un cri silencieux d’indésirabilité simplement parce qu’elle est une femme. Rejetée par sa propre famille, sauf par sa mère, elle se retrouve isolée et dès son plus jeune âge se crée son propre univers. Déterminée à vivre, elle commence à explorer les contradictions de la société iranienne, à comprendre son corps et son esprit et est tiraillée entre son envie de révolution et la soumission nécessaire pour survivre en Iran. Mais couverte de la tête aux pieds, elle se sent enfermée et ne peut s’échapper d’un rôle qu’elle n’a nullement envie d’endosser. “Puis elle nous explique de sa voix de Madame Je-sais-tout que les cheveux des femmes renferment une étincelle qui aguiche les hommes. Et qu’il faut désormais les couvrir pour nous prémunir d’eux.” Elle, la seule chose qu’elle désire, c’est vivre son enfance, son adolescence, ses amitiés, ses amours et ses passions.

“Femme !, Vie !, Liberté !”

16 septembre 2022, Mahsa Amini, jeune iranienne de 22 ans est arrêtée par la police des moeurs à cause de son hijab considéré comme non conforme. Les autorités l’accusent de mal porter son voile et la jeune femme sera violemment battue. Affaiblie par ses blessures, elle tombe dans le coma et succombe après trois jours de détention.

Dans un climat empreint de révolte et soif de liberté, Badjens aspire également à jouer un rôle dans cette société en pleine mutation. Les réseaux sociaux s’enflamment pour appeler à l’insurrection, et la mort de Masha Amini devient un catalyseur pour la révolution iranienne. Les femmes crient “Femme ! Vie ! Liberté !”, Badjens désire plus que tout les accompagner. “Si notre génération n’a aucun pouvoir, elle a au moins l’esprit de contradiction”.

A travers une prose à la fois sombre et empreinte d’humanité, Delphine Minoui nous plonge dans les répressions violentes et le sanglant harcèlement qui pèse sur les femmes dans la société iranienne. Entre tromperie, asservissement et hypocrisie, leur seule échappatoire aux chaînes que constitue le voile semble résider dans l’espoir d'un avenir meilleur et dans l’influence de la culture occidentale. “Parfois je me fais peur : à force de mettre des masques, la vraie “moi” finira-t-elle par se dissoudre dans le néant ?”

A travers ces pages, l’auteure, fidèle à son style, ne se contente pas de relater les faits, elle les incarne, elle les humanise, et donne une voix à toutes ces petites filles. Celles qui désirent se libérer de leurs entraves, goûter à leurs propres désirs et vivre en tant que femmes sans culpabilité. Un témoignage fort de cette nouvelle génération qui ne rêve que d’une chose : se faire entendre !

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“Badjens”, Delphine Minoui, Editions Seuil, 160 pages, 18 euros




auteur
Amoureuse des livres et dénicheuse de bons restos🍷 Journaliste et fondatrice d'Untitled Magazine. Pour la joindre : m.heckenbenner@untitledmag.fr


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