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Rentrée littéraire : "Attendre un fantôme" de Stéphanie Kalfon

2 septembre 2019, par Untitled Magazine

Comment réagir face à la perte inattendue d'un être cher ? Comment gérer le deuil, la peine et la nécessité de continuer à vivre sans l'autre ? Attentats, injustice et violences familiales, ce sont les sujets auxquels s'attaque Stéphanie Kalfon dans son nouveau roman.

Kate rentre de ses vacances pour retrouver sa mère, mal à l'aise et apparemment lui cachant quelque chose. Après ce qui semble au lecteur une éternité, la mère avoue enfin que l'ex-petit ami de sa fille est mort dans un attentat en Israël. L'enterrement est passé, et c'est avec plus d'un mois de retard que la jeune fille apprend ce qui a fait la une des journaux pendant plusieurs semaines, alors qu'elle profitait de ses vacances, innocemment, en Espagne. Cette situation de départ d'Attendre un fantôme rend tout de suite la narratrice sympathique au lecteur, qui ne peut que partager son incompréhension face à une mère qui lui a caché la vérité trop longtemps, l'empêchant de laisser partir Jeff comme elle aurait dû. Comment accepter la disparition de celui qu'on n'a pas pu pleurer correctement, dont la vie a été enlevée sans raison, si loin de nous ?

Le livre s'ouvrant sur un événement antérieur au récit, Stéphanie Kalfon impose un rythme littéraire perturbant, où l'action n'est pas au centre mais où le lecteur prend le temps de se plonger dans les sentiments d'une narratrice aux prises avec l'incompréhension et la rage. Une colère envers sa mère qu'on ne peut que ressentir avec Kate.

Deuil, communication et manipulation

Stéphanie Kalfon nous fait entrer dans la tête de cette jeune fille à qui on a enlevé une part d'elle, à qui on a volé son deuil. Et elle regarde, rétrospectivement, sa vie et plus particulièrement sa relation avec sa mère, à la lumière de cet événement. C'est là qu'Attendre un fantôme devient réellement intéressant : le lecteur met les pieds sans une maison dysfonctionnelle, où les intéractions entre les membres de la famille ne sont fondés sur aucune réalité et honnêteté mais plutôt sur ce que la mère veut laisser paraître à l'extérieur. Tout devient manipulation, et tout le monde se retrouve à être le faire-valoir de cette mère tyran qui ne laisse de place à personne d'autre. "Kate a grandi en se comportant comme un objet à disposition, un reflet de sa mère. Son identité c'est d'être identique. Elle n'a pas eu le droit d'être quelqu'un. Ni d'être quelqu'un d'autre. Il fallait qu'elle soit une pure appartenance destinée à rester là comme un sac à main pour dame. Se glisser dans l'existence avec la présence transparente du fétiche. Bordée de mots d'amour exagérés, elle n'était en vérité qu'une princesse de pacotille clouée à son lit d'enfance. L'illusion qui faisait office de preuve, c'est que sa mère lui donnait tous les rôles. Selon les demandes et les jours, Kate était son journal intime, sa confidente, son vide-ordures, son déchet, son jouet ou son joyau, sa couronne ou son bouffon. La petite fille a appris à se rendre misérable et heureuse à la fois. Et à demeurer ainsi, acceptant de se faire aimer selon des définitions inaccessibles et totalitaires."

D'une écriture poétique et étrange, qui plus d'une fois met le lecteur mal à l'aise, Stéphanie Kalfon dévoile une forme de communication dévoyée où l'important est passé sous silence et seul le futile est prononcé. La famille de Kate, c'est finalement le règne de  l'apparence. A l'image de sa mère.

"Je serai plus vieille que toi jusqu'au restant de la vie"

A côté de ces réminiscences d'enfance, la narratrice doit aussi continuer à vivre, comme si rien ne s'était passé, et dans la solitude que lui a imposé sa mère en ne lui permettant pas de partager son deuil avec ceux qui avaient aussi connu Jeff. Elle vit avec un fantôme, le fantôme de ses souvenirs, de leurs moments disparus, qu'elle semble être la seule à chérir et qu'elle retrouve au cours de ses pérégrinations parisiennes. Et plus que d'attendre un fantôme, c'est s'efforcer de le garder vivant pour mieux le laisser partir. "Laisser. Laisser les choses passer. Laisser passer le douloureux. Distinguer les tristesses sinon on n'y voit rien, d'accord d'accord, séparer les tristesses pour les consoler chacune, les unes après les autres, d'accord d'accord. Il n'y a pas d'étoiles ce soir. Le ciel est sombre comme lui-même, il a des soucis on dirait."

Sur fond d'attentats terroristes, Stéphanie Kalfon signe un roman sensible, où s'entremêlent des sujets aussi difficiles et personnels que la relation mère-fille, la culpabilité, le deuil et le rapport à la peine des autres. La société et ses injonctions envers ceux ayant perdu un proche, envers ce que devrait être leur deuil sont abordés d'une façon originale qui interroge chacun sur son rapport aux autres et son accompagnement de ceux qui sont dans la souffrance.

"Attendre un fantôme", Stéphanie Kalfon, Editions Joëlle Losfeld/Gallimard, 144 pages, 15€




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