UNTITLED MAGAZINE
Susie Boyt met en scène l'amour d'une mère pour sa fille à travers la drogue et ses conséquences. Roman aussi sombre que sensible, la question de ce roman est de savoir si cet amour filial peut résister à tout.
Ruth a élevé seule sa fille, Eleanor, dans la banlieue de Londres. Celle-ci finit par fuir et plonger dans la drogue sans que Ruth ne puisse rien y faire, ni la sauver, ni la préserver. Leur relation s'étiole à partir de ce moment mais un jour Eleanor tombe enceinte de son compagnon aussi toxicomane, et Ruth, après avoir élevé sa fille, va devoir élever Lily, la fille de celle-ci.
Amour et trahison
Si ce roman relate la relation entre Ruth et sa petite-fille Lily, il relate aussi les relations conflictuelles entre une mère et sa fille. Alors que Ruth, professeure dans un lycée pour filles, semble se démener pour subvenir autant que faire se peut aux besoins de sa fille, cette dernière ne pense qu'à s'enfuir. Au fil des années et au fil des pages, cette relation n'en est même plus une. Alors cet amour filial est-il infaillible ?
"J'avais lu que, parfois, quand quelqu'un se comporte mal, c'est peut-être dû au fait que la personne garde en elle trop de tristesse. Il est possible que la présence de Lily l'ait fait se sentir mal que la meilleure chose à faire, selon elle, était de prétendre qu'elle n'existait pas. La plus grande attention, si on va par là - une gentillesse brute et désincarnée."
La petite Lily grandit sans sa mère, aux côtés d'une grand-mère qui tente de faire ce qu'elle peut pour apaiser cette peine, sans jamais remplacer Eleanor qu'elle tente de contacter sans jamais réussir. Ce roman est une tentative pour faire vivre un amour déçu entre une mère et sa fille, Eleanor qui fuit le plus loin de Ruth. Mais la subtilité du roman nous emmène à ne jamais prendre parti, à l'instar du titre du roman, c'est une rencontre manquée entre elles qui subsiste dans ces pages.
La plume de Susie Boyt est aussi cruelle que sensible, elle n'épargne jamais ses personnages et met en exergue les fautes de chacune. Elle reconnait le caractère dur de la mère mais aussi celui de la fille, les scènes de dialogues et les tentatives avortées de rapprochement entre les deux femmes sont essentielles à la compréhension de leurs dynamiques.
"Elle m'a tenu la main et son visage débordait. Cette aigreur au niveau de la bouche s'était affaissée, cette dure tension dans le cou, ses yeux resserrés. Elle n'avait plus l'air si glaciale. Elle a dit qu'elle me trouvait courageuse. Toute ma vie j'avais voulu que quelqu'un me dise ces mots."
Femmes
Amours manquées n'est pas un roman d'amour mais un aveu d'échec à plusieurs échelles. Cependant ce qui reste c'est l'attachement entre Lily et Ruth, face à celui d'Eleanor qui fait figure d'électron libre. La petite fille grandit entourée par cette grand-mère et cette mère lointaine mais dans une famille sans homme. C'est un hommage à la sororité aussi que fait Susie Boyt, à toutes les mères célibataires de quelques façons qu'elles le soient.
"Lily et moi étions enlacées l'une à l'autre et nous balançions d'avant en arrière ; j'avais passé le bras autour de Lily et une grande chaleur passait entre nous, un féroce échange d'éclairs réconfortants dans nos bouffées et les traces de morve, ainsi qu'une ou deux larme."
Aux côtés de ces trois femmes, il y a aussi les étudiantes de Ruth, qu'elle s'efforce d'instruire et de faire grandir, mais aussi Jeane l'amie et collègue fanstasque de Ruth. Ce personnage donne un peu de couleur au roman, elle fait sortir Ruth de son marasme à plusieurs endroits et lui permet aussi d'échapper parfois à ses responsabilités.
Ce roman est un roman choral autour de personnages féminins forts et complexes, auxquels Susie Boyt rend hommage autant dans leurs faiblesses et leurs échecs que dans ce qu'elles arrivent à réaliser.
