Après le succès de La Cuillère qui brosse un beau portrait de la fin de l’adolescence, Dany Héricourt consacre son deuxième roman à l'entrée dans la vieillesse. Lieu de rencontre entre une galloise du Massif Central à l’aube de ses soixante-dix ans et un funambule à la jambe plâtrée, Ada et Graff est un livre original où le monde du cirque se heurte à celui d’une communauté sectaire.
Galloise amoureuse de l’océan mais installée dans le Massif Central par amour, Ada s’apprête à fêter ses soixante-dix ans seule. Son mari infidèle est décédé il y a plusieurs années, et sa fille unique, Rebecca, a coupé tout contact avec elle pour rejoindre les Simples. Dirigée par un chef charismatique adepte de substances diverses et variées, cette communauté religieuse n’a absolument rien à voir avec une secte, insiste celle qui tient à ce qu’on l’appelle Becca. « C’est pas parce qu’on veut vivre avec Dieu, un peu en dehors de la société, qu’on est une secte » se défend-elle. Pourtant, les Simples ont tout l’air d’une communauté sectaire : rupture de tout contact avec l'extérieur, interdiction de manger un bout de saucisson à la cuisine, de se réveiller la nuit ou parler pendant les jours de silence, violences morales et physiques infligées par le chef… Les Simples semblent correspondre en tout point à la définition légale de la dérive sectaire : « le dévoiement de la liberté de pensée d’opinion ou de religion qui porte atteinte à l’ordre public, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes. »
Pourtant, dans son roman, Dany Héricourt n'analyse pas tant l'embrigadement sectaire d’une jeune fille que la douleur de sa mère qui alterne entre deuil forcé et refus d’abandonner sa fille. L'autrice décrit avec beaucoup de délicatesse les pensées d’une femme qui essaie d'être la maman d'une fille qui refuse ses attentions. Ainsi, tous les matins, pendant sa baignade quotidienne dans la rivière, Ada dit quelques mots à sa fille :
« "I Hope the day is kind to you, love. I’m here if you need me, come home." Elle s’autorise à croire que le courant convoiera d’une façon ou d’une autre son message. La rivière traverse le domaine où sa fille s’emmure depuis presque sept ans. »
Ada s’apprête donc à passer le cap de ses soixante-dix années seule avec sa tristesse, jusqu’au jour où un certain Graff s’installe sur un morceau de pré qui lui appartient. Graff est un funambule plâtré à la jambe et au bras. Abandonné par sa compagnie de cirque et coincé au sol, il est malheureux. Alors, quand il rencontre cette femme qui se baigne nue dans la rivière et lui parle avec un fort accent britannique, sa vie est chamboulée.
« Elle me déboussole. Je flotte comme je n'ai jamais flotté.»
Une ode à l'âge
Au fil des pages, la relation entre Ada et Graff éclot, belle et fraiche malgré les années. Elle est d’autant plus belle qu’elle est construite sur les fondations fragiles de l’expérience de la perte d’êtres aimés. Ensemble, ils vont tenter de reprendre goût à la vie et de penser à autre chose qu’à la disparition de leurs proches. Ada va-t-elle s’autoriser cette aventure en sachant sa fille enfermée chez les Simples ? Graff va-t-il supporter la vie dans ce village de montagne où les ragots vont bon train ?
Seule chose qui peut déstabiliser un peu les lecteurs : la construction un peu décousue du roman où les propos d’Ada, Graff et Rebecca alternent rapidement. Sans transition, le récit passe de l'enfance dans une ville minière des années 60 à la vie quotidienne des Simples. La narration est aussi entrecoupées par des lettres écrites par Ada qui raconte son enfance sur l’île d’Anglesey. Le récit tisse sa toile d’un côté du continent à l’autre, d’un bout de siècle à l’autre, sans qu’on ne parvienne à saisir toutes les connections au premier abord, ce qui pourrait gêner certains lecteurs.
Avec Ada et Graff, Dany Héricourt signe un roman peut-être moins léger que La Cuillère, mais tout aussi touchant et délicat. Une lecture agréable, mais surtout originale par les thèmes abordés et le portrait qui est fait de l’âge. Dany Héricourt témoigne encore de la délicatesse de sa sensibilité et ne déçoit pas.
"Ada et Graff", Dany Héricourt, Editions Liana Levi, 288 pages, 21€.